Chapitre 30 - Jack

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Ma séance de sport quotidienne avait été plutôt intense. Ce matin, en raison de la longue journée qui m'attendait, j'étais très matinal, en tout cas plus qu'à l'accoutumée. Mon immeuble situé en plein cœur de Manhattan proposait un spa avec piscine ainsi qu'une salle de sport à rendre jaloux un complexe sportif. Lorsque trois ans plutôt, j'avais commencé à prospecter pour l'achat de mon appartement, j'avais insisté lourdement auprès de mon agente immobilière sur les deux critères non discutables : la cuisine et la salle de sport. En entendant le deuxième critère, ses yeux avaient parcouru mon corps et d'un sourire coquin, elle m'avait répondu qu'elle s'attellerait avec beaucoup de plaisir à me trouver le bien répondant à tous mes désirs et même ceux inavoués. Et là, debout dans mon salon, dégustant mon café tout en admirant le lever du soleil, je devais admettre qu'elle avait répondu au-delà de mes attentes. Dès que j'eus franchi le seuil de la porte d'entrée, j'eus le coup de foudre. L'espace salon, salle à manger et cuisine, constituait une seule grande pièce de plus de quarante mètres carrés, le tout baigné de lumière grâce aux larges fenêtres. Quant à la cuisine, elle était juste parfaite. Les nombreux rangements ainsi que l'îlot central en béton ciré dans les tons gris clair et en son centre la plaque de cuisson mixte, auraient fait le bonheur d'un grand nombre de chefs cuisiniers. En tout cas, ils faisaient le mien. Sans compter la chambre à coucher avec son dressing entièrement équipé et la douche italienne ainsi que la baignoire à remous. En y repensant, Svetlana avait tenu sa promesse. En me présentant cet appartement, elle avait répondu à des désirs dont je ne connaissais même pas l'existence. Durant plusieurs mois après l'achat, elle et moi avions entretenu une relation, mais rien de très sérieux. Nos attentes de la vie étaient diamétralement opposées. Elle voulait conquérir New-York en y régnant en reine de l'immobilier et moi je voulais juste cuisiner. D'ailleurs, trois ans plus tard, c'était toujours ce que je désirais faire et l'un de mes premiers défis avec l'ouverture de mon deuxième restaurant était de garder l'authenticité de mes plats. En aucune façon, je voulais que ma cuisine devienne un business où je passerais la majeure partie du temps à discuter avec des investisseurs au lieu d'être derrière les fourneaux avec mes équipes.

Je jetai un coup d'œil à ma montre pour connaître mon timing. Comme à chaque fois, lorsque mes yeux se posaient sur le cadran bleu, un sourire doux-amer se dessinait sur mes lèvres. Mon père me l'avait offerte la veille de mon départ pour mon périple à travers le monde. À l'arrière, il avait fait graver deux mots : Sois-toi. Et depuis, je m'évertuais à suivre son conseil, que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle. Et cela m'avait plutôt réussi. À mon retour au Canada, j'avais définitivement tourné le dos à une carrière prometteuse en tant qu'ingénieur pour me lancer dans la cuisine et aujourd'hui, dans moins de treize heures, j'accueillerais mes nouveaux clients dans mon deuxième établissement culinaire, sous le regard bienveillant de ma famille et de mes deux amis d'enfance François et Raphaël. En dépit de leur emploi du temps surchargé, mes deux complices de toujours n'avaient pas hésité à prendre l'avion pour venir me soutenir dans ma nouvelle aventure. Raphaël était le directeur général d'une société de distribution de matériel informatique sur le Canada. En vraie machine de guerre, il gérait un petit empire de plus de huit cent salariés. Toujours accroché à son téléphone et dans un avion, sa vie tournait autour de son travail et je ne lui avais jamais connu de relation sentimentale dont le délai d'expiration dépassait deux mois. Comme il aimait à le dire, il était marié à sa boîte et n'avait pas de place pour une histoire d'amour. Bel homme, célibataire et riche, il attirait un grand nombre de femmes qui espéraient lui mettre le grappin dessus, mais sans succès. Quant à François, la brasserie qu'il venait d'ouvrir dans le quartier de Distillery District à Toronto était devenue en quelques mois une adresse branchée où les clients aimaient se retrouver. Pour ce soir, il en avait laissé la gestion à sa femme. Enceinte de leur premier enfant, il faisait acte de présence pour la soirée et retournera auprès d'elle dès demain matin. Même si elle n'était qu'au début de sa grossesse, il ne souhaitait pas qu'elle se fatigue de trop.

Ce soir, Ashley serait également présente. À cette pensée, je ne pus m'empêcher de sourire. Depuis notre dernière rencontre, je n'avais eu aucune nouvelle de sa part. En même temps, elle m'avait prévenu ne pas être douée pour les relations humaines, donc je n'aurais pas dû être étonné. D'ailleurs, avant de recevoir son message pour me confirmer sa présence, j'avais parié avec mon frère Éric que je n'aurai plus jamais de ses nouvelles. En repensant à notre discussion, je me dis que j'aurais mieux fait de me taire et de ne pas me confier à lui. J'avais eu droit pendant plusieurs minutes aux moqueries de mon tendre grand frère. Je lui avais raconté mes deux rencontres avec Ashley. Le thé renversé sur son pull, le surnom de « Monsieur abruti-pervers de mes deux » dont elle m'avait affublé et notre déjeuner chez Sœur Catherine. J'avais bien évidemment omis de lui rapporter les propos qu'elle avait tenus à l'encontre de notre père, sinon il l'aurait immédiatement mise sur la liste noire des femmes interdites d'approcher un membre de la famille HUNTER. En revanche, il est vrai que je m'étais légèrement emballé en lui racontant à quel point elle me plaisait et qu'en dépit de cela, je lui avais proposé qu'elle et moi soyons amis. Face à sa mine interrogative, j'avais dû lui expliquer que sentimentalement, Ashley était une femme plutôt complexe. Sans rentrer dans les détails, je lui avais parlé de son adoption par sœur Catherine et de son enfance dont elle devait encore soigner certaines blessures. Entre deux fous rires, j'avais eu droit à une sérénade sur Jack est amoureux et il est dans le pétrin. Dans un soupir, j'espérais ne pas avoir fait une erreur en joignant Ashley à la même table que ma famille et mes amis. Mais bon, il était trop tard pour revenir en arrière et d'ici quelques heures, je serais fixé.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant