Je n'avais que de très vagues souvenirs de mon enfance avec Lyly et Jacob. Et pour beaucoup d'entre eux, je ne saurais dire réellement s'ils étaient le fruit de mon imagination ou pas. Cependant, il y avait trois souvenirs dont j'étais certaine : la mélodie d'une berceuse au creux de mon oreille le soir avant de m'endormir, le goût d'un caramel mou après une chute à vélo et mon surnom donné par Lyly et Jacob.
Travis venait de déposer sur la table basse en face de moi la boîte en carton. Sur le dessus du couvercle était inscrit au marqueur noir en lettres capitales HAZEL [1]. J'aurais dû partir quand j'en avais encore l'occasion. J'aurais dû mettre fin à cette conversation. Jamais je n'aurais dû revenir ici.
Un bourdonnement résonna dans ma tête et mon angoisse glissa doucement le long de mon œsophage. Tapi au fond de mon estomac, elle se transforma en un gigantesque serpent visqueux mouvant à l'intérieur, enserrant chacun de mes organes et empêchant ainsi l'air d'entrer dans mes poumons.
Je me massai le ventre pour tenter de taire la frayeur qui y avait pris racine. Au prix d'un terrible effort, je réussis à parler.
— C'est quoi ce bordel, Travis? l'interrogeai-je d'une voix paniquée.
— Ashley, si vous le souhaitez, je peux vous laisser seule.
— Travis, je viens de vous poser une question et j'aimerais que vous y répondiez, dis-je au bord de la nausée.
— Ashley, prenez quelques minutes.
Ses derniers mots, sur un ton qui se voulait apaisant finirent d'allumer la mèche au fond de mon cerveau. Je n'en pouvais plus de sa douceur et de sa psychanalyse de bas étage. J'explosai. Me levant d'un bond du canapé, je lui lançai un regard empli d'effroi, tout en pointant mon index vers la boîte en carton.
— Merde Travis, vous êtes oncologue alors arrêtez avec votre discours de psy. Je vous ai demandé de m'expliquer ce que mon surnom, celui que me donnaient Lyly et Jacob, fait sur le couvercle de cette boîte. Et c'est tout ce que je veux savoir pour enfin dégager de cet endroit. Après vous pourrez reprendre ou pas vos séances de radiations avec Jacob, personnellement je m'en contrefiche tant que vous et lui restez définitivement loin de moi.
Mon corps ne m'appartenait plus. Tremblante, je ne maîtrisais plus cette boule d'angoisse qui s'était enracinée en moi, elle me dévorait entièrement, emportant avec elle ma raison. Comme un simple pantin entre ses mains, elle gouvernait mes émotions, les battements de mon cœur, l'air brûlant entrant dans mes poumons. Pourquoi étais-je donc venue? Ma vie semblait être sur le point d'exploser en mille éclats sans que je ne puisse rien y faire.
— Ashley, rasseyez-vous.
La voix de Travis n'était qu'un souffle, comme si lui aussi partageait ma peine. Je fermai les yeux fort, très fort puis me laissai retomber de tout mon poids sur le canapé. Les paupières toujours closes, je l'écoutais.
— Cette boîte appartient à Jacob. Elle contient les correspondances que Madame Catherine Becquet entretient avec lui. Votre père a conservé toutes ses lettres ainsi que les photos de vous qu'elle lui a envoyées.
Les paroles de Travis étaient comme un millier d'aiguilles pénétrant ma poitrine. De quoi parlait-il? Je ne comprenais plus rien. Que venait faire Catherine dans notre discussion? Mes mains s'écrasèrent sur mon visage, étalant sans doute au passage mon mascara. Mais quelle importance? Je rouvris les yeux et plantai mon regard au sien. Quand je pris enfin la parole, toute émotion avait disparu, emportée par mon propre chagrin.
— Vous avez employé le mot correspondance, dis-je en essayant d'articuler le mieux possible. Cela signifie-t-il que Jacob aussi écrivait à Catherine?
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Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secrets
RomanceIl y a des rencontres qui bouleversent une vie. Qui vous font entrevoir un avenir terrifiant mettant à nu toutes vos fêlures. Et à 27 ans, mes blessures d'hier me tourmentaient toujours mais j'avais appris à les enfouir très profondément derrière le...