Je tendis l'oreille. À travers la porte coulissante à galandage, aucun son ne me parvint. Un silence d'outre-tombe paraissait régner dans l'antre de la bête. En fin de matinée, lorsque je fis une halte à l'appartement pour lui préparer son déjeuner, la vision qu'elle m'offrit était proche de celle d'un ours sortant de sa phase d'hivernation, le temps d'un instant. Adieu ses jolies boucles dorées. Ses cheveux hirsutes, rassemblés en un chignon difforme, renvoyaient l'image d'un hérisson retroussé en boule serrée avec ses piquants prêts à administrer un coup mortel. Quant au contour de ses yeux, il était marqué d'une coloration bleutée, comme s'il se remettait d'une violente agression. Toutes ces heures de sommeil n'avaient fait que creuser davantage son visage, confirmant que la paix qu'elle essayait de trouver en fermant les paupières n'était qu'illusoire. Face à mon air obstiné pour que la fourchette franchisse ses lèvres, elle s'était juste emparée du plateau puis, sans un mot, elle avait repris la direction de ma chambre. Détail qu'elle semblait avoir totalement oublié, voyant avec quelle facilité elle occupait les lieux sans se soucier de mon confort dans la chambre d'ami. Pour ma chance, celle-ci était agréable, avec sa décoration dans un style ethnique chic, mais je devais admettre que mon lit commençait à me manquer. Ashley aussi commençait à me manquer ! Terriblement ! Depuis sa venue, je marchais sur des œufs, prenant garde de ne pas la heurter de peur qu'elle ne se renferme davantage. Au départ, mon intention était de la laisser venir à moi, de lui donner l'espace nécessaire pour reprendre pied afin que d'elle-même, elle éprouve le besoin de mettre des mots sur le chagrin qu'elle éprouvait. Malheureusement, cette tactique ne portait pas ces fruits. De son côté, je ne voyais aucun signe d'amélioration. Alors peut-être que le virage à trois-cent-soixante degrés que j'opérerais d'ici quelques secondes allait être plus probant. Et puis, je n'avais rien à perdre. Au pire, furibonde, elle claquerait la porte de mon appartement et je devrais alors poursuivre dans les couloirs de mon immeuble une folle furieuse aux cheveux à la propreté douteuse, habillée d'un pyjama à rayures blanches et noires.
Je pris mon courage à deux mains puis frappai doucement à la porte de la chambre. N'ayant aucune réponse d'Ashley, j'entrai sans attendre sa permission. La pénombre m'accueillit. Les rideaux toujours tirés empêchaient la lumière du jour d'entrer alors que ma montre affichait quatorze heures. Au vu du plateau posé sur la table de chevet, Ashley n'avait pas touché à son dîner, un carpaccio de Saint-Jacques assaisonné d'une réduction de betteraves jaunes. Quant au dessert, lui non plus n'avait eu aucun succès. Les blancs en neige de l'île flottante au caramel ressemblaient davantage à un iceberg fondu sous l'effet du réchauffement climatique. Très bien, me dis-je. Si avant de passer le seuil de la porte je doutais encore de mon idée de bousculer un peu Ashley, maintenant j'étais profondément convaincu que c'était la meilleure solution. C'en était trop ! Tout cela durait depuis trop longtemps. Comme un animal apeuré, elle était recroquevillée avec la couette couvrant une partie de son visage. À la vue de ce spectacle, il n'y avait qu'une seule solution : retirer le morceau de sparadrap d'un coup sec.
— Debout, Ashley, dis-je en ouvrant les rideaux à l'aide de la télécommande pour faire entrer la lumière du jour. Tu as assez dormi comme ça.
En premier lieu, j'eus droit à un grognement guttural. Son ronchonnement fut semblable à celui d'un animal sauvage que je débusquais de sa grotte. L'image de l'antre de la bête que j'avais eue avant de franchir la porte me revint en mémoire, étirant un large sourire sur mes lèvres. Finalement, j'allais prendre beaucoup de plaisir à faire sortir Ashley de ses gonds.
— Allez, debout, Ashley, répétai-je. Il n'y aura pas de troisième sommation.
— Non, entendis-je grogner depuis le lit.
Sans ménagement, je tirai la couette.
— Mince, Jack, c'est quoi ton problème ? vociféra-t-elle en m'arrachant la couette des mains pour la repasser au-dessus de sa tête.
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Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secrets
Roman d'amourIl y a des rencontres qui bouleversent une vie. Qui vous font entrevoir un avenir terrifiant mettant à nu toutes vos fêlures. Et à 27 ans, mes blessures d'hier me tourmentaient toujours mais j'avais appris à les enfouir très profondément derrière le...