À la suite du malaise d'une passagère, mon avion avait atterri avec plus de deux heures de retard, n'aidant pas à calmer les nœuds de mon estomac. Dans le taxi me conduisant à El Catrin Destileria, l'anxiété mêlée à l'excitation de la revoir me donnait des ailes et cependant, j'avais cette petite voix qui me soufflait que je commettais une terrible erreur. Rompre ainsi ma promesse, jamais elle ne me le pardonnerait. Et pourtant, je n'interrompais pas la progression du chauffeur dans les rues bondées de Toronto.
Arrivé il y avait tout juste une heure, je ne pris que quelques minutes pour me doucher et enfiler une tenue chic décontractée : pantalon slim bleu foncé avec chemise blanche col italien. Pour un soir de mi-octobre, je revêtis une simple veste avec, enroulée autour du cou, une étole en cachemire. Les températures anormalement douces me permettaient d'échapper au manteau. Malgré toute ma bonne volonté, je n'allais pas être à l'heure. Initialement, j'avais prévu de rendre visite à mon ami François dont l'établissement n'était qu'à une centaine de mètres du lieu de la soirée, mais mes quarante-cinq minutes de retard me firent renoncer à cette idée.
Marchant en direction du restaurant choisi par Claire, les grandes bouffées d'air frais que j'inspirais devaient m'aider à retrouver un rythme cardiaque normal. Pourtant, plus je m'approchais d'elle, rétrécissant la distance qu'elle nous avait imposée et plus je ressentais les symptômes de l'hypoxie. D'ici quelques minutes, je serais fixé. Je saurais si j'avais eu raison d'accepter son invitation. Quand Claire m'avait convié à l'anniversaire surprise qu'elle organisait pour fêter les vingt-huit ans d'Ashley, sans aucune hésitation, je lui avais confirmé ma présence. Mais au fil des jours, le doute m'avait envahi. Le désir de revoir celle sans qui les jours avaient perdu de leur saveur envoya valser ma promesse de la laisser partir. Cette soirée était une surprise, Claire avait insisté lourdement dessus. Elle n'avait aucune idée d'à quel point ma présence allait déconcerter son amie. Ou peut-être que si? Ashley s'était sans doute confiée à sa meilleure amie concernant notre accord. Avec lâcheté, je m'étais retranché derrière de multiples motifs pour ne pas la prévenir de ma venue. Debout devant la façade de l'établissement mexicain, j'appréhendais la réaction d'Ashley. Il était vain d'espérer qu'elle m'accueille les bras ouverts, m'embrassant fougueusement devant tous ses amis. Je pariais plutôt sur son regard noir et des paroles glaciales semblables à une tempête de neige. En plus, la chance n'étant pas de mon côté, j'arrivais avec du retard. Avant le décollage de l'avion, j'avais prévenu Claire afin qu'elle ne s'inquiète pas, mais cela ne me rassurait pas quant à l'accueil d'Ashley. Depuis son retour à Toronto, je n'avais eu aucune nouvelle. Ni appel, ni message...rien. Elle tenait parole. Nos moments passés ensemble ne furent qu'une parenthèse. Sans elle, la ville me semblait plus terne. En partant, Ashley avait emporté avec elle l'ivresse qui caractérisait New-York. Ce fut pour cette raison que j'avais commencé à lui envoyer des messages. Ma façon de la garder près de moi, de ne pas rompre le lien. Cela m'était impossible. Mais c'était si peu alors que j'en voulais tellement plus. Savoir comment elle se portait. Gérait-elle ses retrouvailles avec Jacob ainsi que sa maladie? Avait-elle fait la paix avec toutes les émotions qui l'assaillaient? Parlait-elle de moi? Encore mieux, occupais-je ses pensées, comme elle occupait les miennes jours et nuits? Tant de questions restées sans réponse. Ne pouvant interférer ainsi dans sa vie, à la place, plusieurs fois par semaine je lui envoyais des messages anodins. Le dernier concernait une blague sur l'animal le plus heureux que j'avais lu dans un carambar caramel. J'avais découvert ce bonbon typiquement français durant un séjour linguistique en France lors de mes seize ans. Et depuis, dès que je voulais en retrouver le goût, je demandais à mon amie Lola de m'envoyer un colis avec, en plus, des biscuits petits beurres et des caramels au beurre salé. Bruno, l'un de mes chefs pâtissiers, avait également succombé à ces sucreries françaises. Il les avait même mises à l'honneur de la carte du restaurant durant une semaine sous la forme d'une déclinaison de trois desserts italiens revisités. Un pur délice.
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Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secrets
RomanceIl y a des rencontres qui bouleversent une vie. Qui vous font entrevoir un avenir terrifiant mettant à nu toutes vos fêlures. Et à 27 ans, mes blessures d'hier me tourmentaient toujours mais j'avais appris à les enfouir très profondément derrière le...