Mes foulées martelaient le tapis de course. Depuis une heure, je soumettais les muscles de mes cuisses à une course effrénée, mais sans succès. Même ma nuit passée au côté de cette délicieuse hôtesse de l'air aux jambes interminables ne m'avait pas aidé à évacuer les tensions de mon corps. Habituellement, commencer la journée par une séance de sport me permettait d'y arriver, mais je devais voir la réalité en face : ni une nuit de sexe, ni le sport n'étaient suffisants pour atténuer l'appréhension que je ressentais à la perspective de la revoir. Arrivé en fin d'après-midi sur Toronto, je m'étais surpris à la chercher du regard, en remontant la rue où se trouvait mon hôtel, dans le bar de mon ami François et le pire ce fut lorsqu'inconsciemment, j'avais imaginé la croiser à la soirée privée où Raphaël, mon ami d'enfance, nous avait conviés François et moi. Sans elle à mes côtés, la ville avait perdu de son attrait. Face à mon humeur en dents-de-scie, mes deux acolytes m'avaient questionné et à l'air moqueur qui s'était peint sur leur visage, une fois que je leur avais fait part de ma rencontre avec Ashley, je dus reconnaître l'absurdité de la situation. Moi qui n'avais jamais eu de difficulté quelconque avec la gent féminine, je restais focalisé sur une femme qui m'avait fait comprendre, sans équivoque qu'elle ne désirait plus jamais me revoir. Mais comment oublier notre baiser ? Le plus intense que jamais je n'avais eu. Comme une valse, il m'avait emporté dans un tourbillon, me faisant oublier les passants autour de nous, le vent frais chatouillant ma peau, le bruit de la circulation. Bref, notre étreinte m'avait totalement bouleversé et qu'avait-elle fait ? Avec mépris et froideur, elle avait piétiné notre moment d'intimité. Ses mots restaient imprimés dans mon esprit comme une encre indélébile. J'avais dû faire appel à tout mon sang-froid pour ne pas l'étrangler sur place. Elle s'était comportée comme la pire des garces et dans ses yeux il n'y avait eu aucune once de remords. Après son petit discours devant le centre Saint-Jean, en dépit de la fureur qui m'animait, je m'étais laissé attendrir par son air confus et ses yeux verts magnétiques. En toute franchise, ce ne fut pas les seules raisons de ma reddition. Dès notre rencontre, j'avais désiré posséder ses lèvres, goûter leur saveur, me saisir de chacune de ses complaintes. Sans retenue, sans fioriture aucune, elle m'avait offert tout cela en s'abandonnant entre mes bras. D'où ma confusion ! Son corps avait répondu à mon baiser, alors comment expliquer son rejet ?
Pour moi c'était une première. Jamais je n'avais autant désiré une femme et jamais je ne m'étais fait éconduire de la sorte. Par mon métier, j'avais l'habitude d'être convoité par la gent féminine. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais être chef cuisinier avait un pouvoir attractif sur certaines femmes et sur certains hommes aussi. Dernièrement, l'une de mes clientes avait remis à mon chef de salle sa petite culotte en dentelle noire, emballée dans une boîte cadeau jointe de ses coordonnées téléphoniques et d'un message « Je suis très gourmande, appelle-moi ». Son présent me valut les taquineries de ma brigade les jours qui suivirent. Mais même si sa proposition restait très alléchante, j'avais toujours mis un point d'honneur à ne pas draguer ou coucher avec l'une de mes clientes.
Ma séance de sport terminée, je quittai la salle pour me rendre dans ma suite et prendre une bonne douche d'eau froide. Dernière tentative pour calmer mes ardeurs. Le téléphone de ma chambre retentit. François venait de se présenter à l'accueil afin qu'ensemble nous allions au Saint Lawrence Market [1], le marché par excellence où je trouverai tous les ingrédients nécessaires pour le diner [2]. En fait, ce repas était la raison première de ma visite à Toronto. Pour me remercier de mon don, Sœur Catherine m'avait invité à sa journée d'anniversaire.
Au départ j'avais refusé poliment, prétextant une charge de travail trop importante, ce qui dans les faits n'était pas un mensonge. Mais c'était sans compter sa détermination. Pour ses soixante-cinq ans, elle me voulait à ses côtés et n'accepterait aucun refus. Elle avait longuement insisté sur le fait que nous serions en petit comité. Mais petit comité ou pas, il n'y avait qu'une personne que j'appréhendais de revoir. Et mon éducation m'interdisait de faire part de mes motifs à la mère adoptive d'Ashley. À dire vrai, je ne savais pas quelle allait être ma réaction en la revoyant. Quant à la sienne...Je ne pense pas qu'elle avait accueilli avec un grand enthousiasme mon invitation. Cependant, face à Soeur Catherine, je restais persuadé qu'elle arriverait à se maîtriser. En plus, elle ne fera rien pouvant compromette la bonne tenue de la fête d'anniversaire. Alors pourquoi ne pas s'amuser un peu? La taquiner juste pour voir sa réaction.
Et après tout, c'était de bonne guerre étant donné son comportement de la dernière fois. François frappa à ma porte, m'arrachant à mon stratagème.
— Alors, cette hôtesse de l'air t'a permis de te sortir cette fille de la tête? demanda-t-il en s'installant sur le canapé.
N'ayant pas terminé de me préparer, je lui répondis depuis la chambre.
— Notre soirée fut très sympa.
— Au point d'oublier ta doctoresse?
Oh que non. C'était tout le contraire. Même si mon amante d'une nuit avait été adorable, elle n'avait pas réussi à occulter mon désir de savourer chaque parcelle du corps d'Ashley pendant que je m'enfouirai en elle jusqu'à ce qu'elle me supplie de la délivrer.
— Non, pas à ce point-là, dis-je.
— Mon pote, je crois que tu as ce que j'appelle un coup de cœur.
— Je ne sais pas si c'est un coup de cœur ou non, mais une chose est sûre, ces derniers mois elle a constamment occupé mes pensées. Donc, lors du dîner[2], je compte m'amuser un peu.
— Tu es sûr que tu pourras mener la danse?
— Justement, avec son caractère bien explosif ce sera intéressant de voir comment elle se contient pour ne pas gâcher la fête d'anniversaire de sa mère adoptive.
— Si tu veux la jouer comme ça, alors bonne chance, dit-il. Mais fais attention de ne pas te faire prendre à ton propre jeu.
Tout comme Hurl, lui aussi me souhaitait bonne chance. Mais j'étais décidé et pour la première fois depuis mon arrivée à Toronto, je me sentis léger à la perspective de la revoir. Une seule question demeurerait, occupais-je toujours ses pensées?
[1] Le marché Saint Lawrence est un marché historique situé dans la vieille ville de Toronto.
[2] À Toronto, le dîner est l'équivalent du déjeuner en France.
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Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secrets
RomanceIl y a des rencontres qui bouleversent une vie. Qui vous font entrevoir un avenir terrifiant mettant à nu toutes vos fêlures. Et à 27 ans, mes blessures d'hier me tourmentaient toujours mais j'avais appris à les enfouir très profondément derrière le...