Cette impression que le temps venait de se suspendre, que les horloges avaient mis en pose le tour incessant de leurs aiguilles. Avez-vous déjà eu cette sensation que le monde s'arrêtait de tourner pour vous faire prendre conscience de la beauté de l'instant présent? Ma main entrelacée dans celle de Jack, comme si elle était son bien le plus précieux, me donnait cette impression irréelle. Le bruit du roulement de la rame sur les rails, les discussions animées de ses occupants, l'odeur du hot-dog qu'une femme debout à tout juste deux mètres de nous mangeait avec gourmandise, tout cela était balayé par sa seule présence, sa main chaude et ses yeux brillants où se reflétaient un millier de constellations. La magie qu'il dégageait me donnait l'impression d'être sur le point de découvrir le repère du Père Noël.
Marchant en direction des portes grandes ouvertes, juste avant de descendre du wagon, Jack m'attira vers lui et comme deux enfants en passe de faire une bêtise, je me retrouvai accroupie derrière une rangée de sièges. La rame se vidait lentement de ses occupants puis le signal sonore de fermeture des portes se fit entendre, entraînant l'emballement de mon cœur dans une course folle. Encerclée par les cuisses de Jack, se tenant juste derrière moi, je sentais son souffle chaud contre ma nuque. Ce simple contact réveilla le besoin de m'abandonner contre son torse. Depuis que j'avais quitté son appartement, l'insouciance des heures passées ensemble avait chassé mes pensées sombres de ce matin. Tout comme l'aube éloignait les fantômes de la nuit, être en sa compagnie avait cette faculté sur moi. Plongée dans ma rêverie, le soubresaut de la rame me surprit. Sans que je ne m'y attende, le conducteur venait de remettre en circulation le métro afin d'effectuer son demi-tour. Poussant un cri, je manquai de me retrouver les fesses au sol.
— Prends appui sur moi, Ashley.
Avant que je ne lui concède mon accord, les bras de Jack se refermèrent sur mon ventre pour me retenir. Avait-il conscience de ce qu'il éveillait en moi ? L'étau qu'il formait avec son corps était à la fois douloureux et délicieux. Et à mon grand désarroi, la balance penchait davantage sur un sentiment délicieux. Le murmure de sa voix sur le lobe de mon oreille fit déferler des picotements tout le long de ma peau.
— Nous y sommes, Ashley. Tiens, regarde.
Comme une caresse, les mains de Jack s'abandonnèrent sur mes hanches pour m'aider à me relever.
— C'est juste en face de toi.
Et là, dans un moment de grâce, City Hall et moi fîmes connaissance. J'étais tout simplement fascinée par la splendeur du lieu qui se révélait à moi avec une discrétion très intime. De larges vitraux en verre semi-transparent apportaient une atmosphère coupée du temps, laissant transpercer les rayons du soleil afin qu'ils viennent se refléter sur les murs pavés de vert et de blanc. Sa voûte courbée offrait de la profondeur à la station de métro, comme une invitation à la suivre pour marcher sur les pas de ses visiteurs d'autrefois. Debout dans les bras de Jack, j'étais projetée soixante ans en arrière. Déambulant le long du quai, tout en étant éblouie par la luminosité traversant l'une des verrières. Une intrusion dans le passé, comme une brèche dans l'espace-temps.
— Alors? demanda nerveusement Jack.
Cette question sonna au creux de mon oreille comme aveux. Celui que cet endroit avait de l'importance à ses yeux et il me le faisait partager. Lentement, je me retournai pour me saisir de son regard. Je ressentais ce besoin impérieux de le voir. Pas lui, mais son âme.
— Merci beaucoup pour ce beau moment, dis-je.
— De rien, répondit-il sur un ton légèrement gêné. Avant que tu ne quittes New-York, je voulais te montrer mon endroit préféré.
— Pourquoi est-ce qu'il compte tant pour toi ?
Accompagné d'un haussement d'épaules pour se donner un air détaché, il réfléchit quelques secondes avant de me répondre.
VOUS LISEZ
Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secrets
RomanceIl y a des rencontres qui bouleversent une vie. Qui vous font entrevoir un avenir terrifiant mettant à nu toutes vos fêlures. Et à 27 ans, mes blessures d'hier me tourmentaient toujours mais j'avais appris à les enfouir très profondément derrière le...