Chapitre 18 - Jack

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Perdu! Ce mot décrivait nettement la confusion que j'éprouvais. Hurl m'avait pourtant informé que Ashley était orpheline. Mais l'échange auquel j'assistais me disait le contraire. À moins qu'il ne soit revenu d'entre les morts, le père d'Ashley était en vie, purgeant une peine de prison. Hurl connaissait-il la vérité ? Sœur Catherine l'avait-elle déjà rencontré ? Depuis combien d'années ne l'avait-elle pas revu ? Tout un panel de questions tournant autour d'Ashley et de son père fusaient dans ma tête.

Sans parvenir à cacher ma stupéfaction, j'écoutais attentivement monsieur JONHSON. Le père d'Ashley était en phase terminale, ses derniers résultats d'analyses ne lui donnaient pas plus de quatre mois à vivre. Avant de mourir, il avait exprimé le désir de la revoir.

— Comprenez que monsieur WOODS souhaite partir en paix et pour cela, il désirerait s'entretenir avec vous.

Pour la première fois depuis que monsieur JONHSON avait pris la parole, j'eus le courage de me tourner vers Ashley. Elle était livide. La vie semblait l'avoir quittée. Murée dans un mutisme, elle ne prononçait aucun mot, n'émettait aucune question. Une coquille vide. Le seul geste qui me permit de savoir que son corps était toujours habité fut ses ongles s'enfonçant profondément dans la chair de ses cuisses. Sa souffrance était tangible. Silencieusement, son corps criait sa détresse, dévoilant les tourments auxquels elle était livrée. Nue, exposée, sans défense, je la voyais vraiment pour la première fois. Sa fragilité me bouleversait tandis que le reflet de ma propre impuissance m'était insupportable. Alors, dans un esprit protecteur, j'entremêlai mes doigts aux siens tout en caressant du pouce son poignet. Cinq traces rougeâtres marquaient sa peau à l'emplacement où ses ongles avaient meurtri ses cuisses. À mon contact, elle sembla revenir à elle, s'accrochant fortement à ma main comme si elle était un point d'ancrage lui permettant de maintenir sa tête hors de l'eau. Puis tout bascula. Sa douleur, sa vulnérabilité laissèrent place à une telle froideur que j'en eus la chair de poule. Les murailles avaient repris leur place. Sa mâchoire se contracta et, quand elle prit la parole, elle s'exprima de façon détachée sans une once d'empathie.

— Monsieur JONHSON, de toute évidence, vous êtes un homme très occupé de par votre fonction. Alors je ne vais pas vous faire perdre votre temps. Personnellement, j'ai tourné la page avec Jacob WOODS il y a maintenant plusieurs années de cela et ma vie s'en porte parfaitement bien. Dites-lui de chercher l'absolution auprès d'une autre personne. Moi, je ne peux rien pour lui. Cependant, s'il le souhaite, je peux rencontrer son médecin et jeter un coup d'œil à son dossier médical pour voir si toutes les mesures ont été mises en place pour l'accompagner dans ses derniers jours. Bien sûr, s'il y a des frais supplémentaires, je veux bien être charitable et les prendre à ma charge.

Comme pour accompagner la noirceur de ses mots, la pièce s'assombrissait. À travers les hautes fenêtres, le ciel renvoyait un visage sombre, prêt à exposer sa colère à tout moment. Les branches des arbres se mouvaient sous le souffle du vent, entraînant leur feuillage dans une danse démente. Un orage était en approche, comme si le temps lui-même se mêlait à la douleur d'Ashley. Chacun des mots qu'elle venait de prononcer faisait écho à son chagrin, mais comment cet inconnu assis en face d'elle pouvait-il le savoir? À son air choqué, il ne voyait qu'une femme froide dont le cœur était insensible. J'aurais voulu lui dire qu'il avait tort, que cette dureté apparente n'était qu'un masque, un costume qu'elle revêtait pour se prémunir des blessures que visiblement, l'homme enfermé dans une cellule lui avait infligées. Imposerait-il à une victime de converser avec son bourreau? De revivre les souffrances du passé? Monsieur JONHSON essaya une dernière fois de la convaincre, mais Ashley campait sur son refus de revoir Jacob. Sans aucune formalité, elle se leva pour mettre fin à la conversation.

— À mes yeux, Jacob WOODS est mort depuis bien longtemps. Vous pourrez vous consoler en vous disant que vous avez bien défendu sa cause, mais elle était perdue d'avance. En revanche, je réitère ma demande concernant son oncologue, donc transmettez-moi au plus vite ses coordonnées.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant