Chapitre 55 - Ashley

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Dans ma tête, plusieurs scénarios de meurtre se mettaient en place. Parmi les innombrables possibilités, celle qui gagnait tous les suffrages était une agonie lente et terriblement déplaisante durant laquelle Jack me demandait de mettre un terme à ses souffrances. Chose que forcément je refusai, juste pour qu'il comprenne que sa surprise n'en était pas une. En tout cas pas une qui m'enthousiasmait. Une grande bécasse ! Il avait parfaitement raison, voilà ce que j'étais. Sinon comment expliquer le traquenard dans lequel je venais de tomber ? Et comble de bêtise, dans un moment d'honnêteté, je lui avais avoué avoir confiance en lui. Et que faisait-il ? Il me forçait la main alors que la seule chose que je demandais était de pouvoir rester dormir. Continuer à fermer les yeux pour ignorer la réalité qui était la mienne. En faisant preuve de lâcheté, j'avais échoué. Il m'avait quittée sans connaître l'essentiel. Durant des semaines, je m'étais assise à ses côtés, persuadée de lui parler librement, sans faux-semblant. La vérité pure. Sans fioritures. J'en étais si convaincue. Et pourtant, je m'étais retenue de lui avouer qu'il avait repris sa place de père dans mon cœur. J'avais rejeté la faute sur le temps qui me manquait, sur l'ombre de la mort qui l'avait emporté dans son sommeil. Mais à dire vrai, j'étais la seule coupable. Prononcer ces mots, les rendre concrets m'effrayait tellement que je n'avais pas trouvé le courage de les lui dire. Inconsciemment, mon instinct protecteur s'était éveillé, croyant me protéger si je n'avouais rien. C'est vrai non ! En gardant tout cela pour moi, peut-être que le départ de Jacob allait être moins douloureux. Comment aurait-il pu prévoir que ma lâcheté ferait naître le poids de la culpabilité et des regrets ? Que ce goût amer d'inachevé me détraquerait de l'intérieur.

Ma place était dans un lit, plongée dans le noir. Et sûrement pas dans les couloirs d'un dispensaire. Et pourtant, je marchais au côté du docteur Samuel en direction de ma future salle de consultation. Discrètement, je pris le temps de l'observer pour la première fois. Plus petit que Jack, il me dépassait tout de même de plusieurs centimètres. Jack avait mentionné qu'il était l'ami de son frère Éric. Il devait donc avoir moins de quarante ans. Seulement, ses cheveux grisonnants ainsi que des ridules autour de ses yeux lui donnaient dix années de plus. Son sourire était chaleureux mais ses grands yeux gris trahissaient une profonde tristesse. Une blessure que le temps n'avait pas encore réussi à guérir. Emportée par la curiosité, je me demandais ce qui avait pu marquer cet homme au point de rendre son chagrin si palpable. Je me surpris alors à engager à la conversation.

— Ainsi, vous êtes ami avec le frère aîné de Jack.

— Oui, confirma-t-il, par l'intermédiaire de ma...de nos femmes. Ce sont elles qui nous ont présentés. Toutes deux étaient amies depuis la maternelle.

L'hésitation qu'il marqua fut accompagnée par un léger affaissement d'épaules. Quant à son regard, il devint un océan de chagrin. Son épouse l'avait quitté, mais pas pour un autre homme. Sa peine était due à une perte plus difficile encore. La mort de l'être aimé. Le deuil n'offrait pas de retour en arrière, aucune seconde chance. Il broyait de l'intérieur, rappelant constamment au bon souvenir que les jours ne seraient que larmes et que le repos ne viendrait que la nuit dans la profondeur du sommeil. Seul instant où l'être disparu rendait visite pour revivre les moments partagés. Le plus effrayant était que dans le tréfonds de votre cœur, vous savez qu'un jour, l'amour que vous lui portez ne sera plus suffisant pour conserver son souvenir. Le temps ferait son œuvre, gommant de votre mémoire son sourire, l'odeur de sa peau, l'éclat de ses yeux. Tout deviendrait plus flou, plus abstrait. En pensant au deuil d'Henry, le mien me frappa de plein fouet.

— Toutes mes condoléances pour votre femme, m'entendis-je prononcer.

Pour une entrée en matière, c'était totalement loupé. Lui présenter mes condoléances alors que j'étais une parfaite inconnue, quoi de mieux pour entamer la conversation.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant