Chapitre 61 - Jack

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Mon esprit endormi captait un son lointain mais n'arrivait pas à identifier sa provenance. Que venait-il faire dans mon rêve ? Le mélange séance de sport et jets d'eau tiède sur ma peau eut l'effet escompté. Je m'étais écroulé sur le lit, épuisé par ma journée. Ce bruit, il m'était familier, mais la spirale de mon sommeil me retenait encore, obscurcissant mes pensées. Puis enfin je le reconnus. Habituellement, il ne venait pas perturber mes nuits à cette heure aussi tardive. La dernière fois, il avait été annonciateur de la perte d'un être cher. Cette pensée me fit l'effet d'un électrochoc. Un coup d'œil rapide à mon réveil me confirma que l'horaire pour un FaceTime [1] était inhabituel.

Qui cela pouvait-il être à cette heure-ci ? Mon cœur se glaça. L'image de ma mère en pleurs m'annonçant le décès de mon père me revint en mémoire. Pendant une fraction de seconde, je ressentis à nouveau le poids du chagrin. J'étais à nouveau cet homme recroquevillé sur lui-même, tel un enfant, tant la douleur était insoutenable. Mais petit à petit, ce sentiment disparut pour laisser place à de l'inquiétude mélangée avec de la surprise et une certaine excitation. Le numéro qui s'affichait, nul besoin de voir le nom de mon interlocuteur, je le connaissais par cœur. J'acceptai l'appel. Son visage apparut devant moi. Assise sur son lit, les genoux remontés contre sa poitrine, elle portait sa tenue de travail. Son dos appuyé contre sa tête de lit capitonnée en cuir gris, elle avait une mine des plus épouvantables.

— Oh, dis-je. Vu ta tête, je crois que j'aurai besoin d'un bon café avant de commencer notre discussion.

— Désolée pour le dérangement. Tu dormais sans doute ?

— À quatre heures du matin ? souris-je. Non jamais !

J'eus droit à un pâle sourire de sa part. Quelque chose la chagrinait. Les poches sombres sous ses yeux indiquaient qu'elle n'avait pas beaucoup fermé l'œil de la nuit ces derniers temps.

— Tu pars à l'hôpital ou t'en reviens ? demandai-je en me dirigeant vers la cuisine.

— J'ai fini un peu avant vingt-deux heures.

— En rentrant à l'appartement, tu as préféré garder ta tenue de travail pour gagner en temps de préparation ?

Ashley marqua une légère hésitation avant de me répondre. Elle hésitait à me faire part du motif de son appel.

— Très drôle, finit-elle par dire d'un air mi-figue, mi-raisin. Quant à toi, je constate que tu es à ton aise.

— Quoi, mes fesses dans ce petit boxer noir te dérangent ?

Ma petite note d'humour n'effaça pas sa mine inquiète, mais elle entra tout de même dans ma nonchalance.

— Non, je me demandais juste si ta ville était touchée par une vague de chaleur en plein mois de décembre.

— Rien de tel, dis-je, je suis simplement l'heureux propriétaire d'un appartement bien chauffé.

— Je vois ça.

J'éclairais la cuisine en poussant l'interrupteur situé juste au-dessus du plan de travail et déposai mon téléphone afin d'avoir les mains libres pour préparer mon café. Je positionnais l'écran de telle sorte que l'un et l'autre puissions nous voir. Ashley m'avait confié aimer me regarder préparer ma dose de caféine matinale. Selon elle, il n'y avait rien de plus apaisant que d'observer un homme moudre de ses mains des grains de café. Je m'étais tout de même permis de lui souligner que j'utilisais un broyeur manuel et non pas directement mes poings. J'avais eu alors droit à une petite moue boudeuse de sa part. Elle m'avait questionné sur mon attrait pour le café et la réponse fut toute simple : j'étais tombé amoureux du café lors de mes voyages, notamment en Inde et en Italie. Là-bas, j'avais découvert que sa préparation était un art. Chaque matin au réveil, j'appréciais concocter un café à l'arôme reflétant mon humeur du jour. Et là, sur l'instant, je me sentais comme un enfant sur les montagnes russes. Tout excité mais avec également une légère pointe d'angoisse au creux de l'estomac. J'ouvris le placard où je conservais mes boîtes de grains.

— Ton choix se porte sur quoi ce matin ? me demanda Ashley.

Au timbre de sa voix, son interrogation était à prendre au sérieux. Durant son séjour à la maison, elle avait pris goût à ce rituel. Humer l'arôme des grains, les moudre, porter à température idéale l'eau afin de la faire frémir sur le café fraîchement moulu pour ensuite passer à la dégustation.

— Ce sera le Népal Mont Everest suprême, pour ce matin. Tu valides ?

— Excellent choix.

Je pris une profonde inspiration avant de poursuivre. L'appel d'Ashley n'était pas anodin. Elle était mal à l'aise. Sa posture, son intonation ainsi que l'expression sur son visage montraient qu'elle souhaitait me parler d'un sujet délicat. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'elle remettait en question ma proposition. Échec et mat. Mais à mon sens, ni l'un ni l'autre n'étions gagnants.

— Ashley, que se passe-t-il ? l'interrogeai-je sans plus de détour.

Avant qu'elle ne prenne la parole, j'eus droit en premier lieu à un léger rictus.

— Rien, tout va bien. Te regarder préparer ton café me manquait.

Non convaincu par son explication, je respectais son silence. J'avais appris qu'il ne servait à rien de bousculer Ashley si je voulais connaître les raisons de ses tracas.

— Tu devrais te méfier avec ce type d'aveu, fis-je. Tu offenses les origines anglaises de Sœur Catherine et elle sera dans l'obligation de te désavouer.

— Que veux-tu, entre le café et le thé mon cœur balance.

— Oh, jeune fille, entends-moi bien, là tu frises vraiment l'insolence.

J'eus droit au premier rire franc d'Ashley depuis son appel, mais ce moment d'allégresse fut rapidement balayé par la distance qu'elle s'imposait.

— Sur ces belles paroles, je vais te laisser te reposer.

— Ashley, avant cela, peux-tu me donner la raison de ton appel?

— Je te l'ai dit, l'odeur de ton café me manquait.

— Tu ne m'en diras pas plus ?

Une grimace avait pris forme sur son visage.

— Ma journée à l'hôpital a été assez éprouvante et j'avais besoin d'entendre ta voix.

— Et ça marche ? la questionnai-je. Tu te sens mieux ?

— Un bien fou, répondit-elle toujours avec ce sourire forcé. Excellente journée, Jack. Merci pour ton écoute.

Notre Face Time prit fin sur ces mots. Étrange cette conversation. Quel que fut son motif réel, Ashley ne s'était pas confiée. Sa journée éprouvante à l'hôpital n'était pas le grief qui la tracassait. Et toute la journée, son regard maussade me poursuivit. Cependant, égoïstement, je fus soulagé car la partie d'échec n'était pas terminée et d'ici quelques jours, la suite de mon plan prendrait forme. 


[1] FaceTime est une application de visioconférence développée par Apple.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant