Chapitre 36 - Jack

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Notre petit moment récréatif avait laissé l'empreinte d'un éclat enfantin sur le visage d'Ashley. Une forme d'insouciance s'opérait entre nous, rendant presque irréel cet instant. La foule de passants déambulant tout autour de nous semblait glisser sur cette bulle dans laquelle nous avancions en direction du restaurant. Son brushing avait rendu l'âme pour redonner vie à ses boucles qui rebondissaient comme des ressorts à chacun de ses pas. Relevées dans un chignon décoiffé, sous la brise légère qui rendait supportable la température de cette journée de septembre, de fines mèches de cheveux étaient emportées dans une ondulation révélant une pointe de roux dans sa chevelure dorée. Je me demandais de qui tenait-elle cette couleur proche d'un champ de blé et d'orge ? Le savait-elle elle-même ? Je m'empressai de chasser cette pensée désagréable pour me recentrer sur sa nuque dégagée où j'aurais aimé poser mes doigts pour les laisser descendre le long de sa colonne. Merde ! Je chassai également cette pensée. À la différence, celle-ci était très plaisante, mais elle était une pente savonneuse où il était préférable que je ne m'aventure pas si je ne voulais pas voir s'envoler la légèreté d'Ashley.

Sans savoir comment, la conversation dévia tout naturellement sur mon goût pour les voyages. Deux fois par an, je m'octroyais une semaine de repos pour découvrir une nouvelle destination ou retourner sur les traces d'une ville, d'un lieu qui m'avait touché. Ashley m'écoutait avec une véritable attention, me questionnant sur mon endroit préféré, les monuments qui m'avaient le plus marqué, les coutumes les plus farfelues auxquelles j'avais pu être assujetti. Qu'elle s'intéresse ainsi à cette part de moi me donnait des ailes, alors je lui reparlai d'Ischia, cette île italienne située en mer Tyrrhénienne.

— Donc il n'y a pas que ses courbes voluptueuses, sa douceur, sa générosité et son air de belle alanguie qui te subjugue chez elle? finit-elle par dire en papillonnant des yeux.

Elle venait de me répéter au mot près les propos que j'avais tenus dans la cuisine de Sœur Catherine pour la taquiner, il y a environ deux mois de cela.

— Rassure-moi, tu ne m'en veux plus pour cette petite blague.

— Tout dépend, dit-elle en rétrécissant l'espace nous séparant, en prenant soin d'appuyer son ton d'un regard menaçant.

Cette proximité était un supplice. Son parfum aux notes fleuries et sucrées était envoûtant et sonnait comme une invitation à plonger mes lèvres dans son cou. L'air dans mes poumons se raréfia et déglutir devint douloureux.

— Si tu te joues encore une fois de moi, je n'hésiterai pas à raconter à qui veut l'entendre à quel point tu étais ridicule sur ton lapin à la bride rose et verte.

— C'était donc une mise en scène pour ensuite me faire du chantage, dis-je en empoignant son menton pour garder son regard dans le mien.

Sans avoir besoin d'un miroir, je savais que mes yeux brillaient d'amusement et d'un désir sombre qui me serait difficile de taire si elle continuait d'être aussi enjouée avec moi. À son expression qui se voila d'anxiété, elle avait également perçu mon changement d'humeur. Mais c'était trop tôt. Comme un funambule, j'avançai sur cette corde tendue à plusieurs mètres du sol où le moindre faux pas me serait fatal, me conduisant à une existence sans Ashley. J'embrayai alors sur ma passion pour l'Asie et lui racontait mon premier séjour en Chine. Les paysages époustouflants que j'avais traversés, comment j'avais découvert cette cuisine si particulière et pourquoi j'en étais tombé amoureux. Sur un ton désinvolte, je lui expliquai que le restaurant où je la conduisais était tenu par un maître de la cuisine chinoise. Âgé d'une cinquantaine d'années, il avait fait de son restaurant une adresse très précisée grâce à l'authenticité de ses plats. Ses mets étaient une invitation au voyage, où à chaque bouchée, ses clients se retrouvaient transportés dans une rue où un nuage de vapeur s'échappait d'une échoppe remplie de grands récipients en bambou contenant des petits pains farcis, ou bien des ravioles de toutes sortes. Les yeux d'Ashley se mirent à briller et sa langue pressa sur ses lèvres. C'était le signe qu'elle était proche de l'hypoglycémie et la main qu'elle porta sur son ventre pour en soulager les grondements me confirma mon diagnostic.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant