Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secrets

Chapitre 32 - Jack

Tout juste deux heures après avoir quitté Ashley pour retourner en cuisine, je la retrouvai en terrasse, installée sur une chaise haute. Elle semblait perdue dans la contemplation des lumières de la ville. Du bout des doigts, elle faisait tournoyer son verre de vin rouge. Elle répéta ce geste plusieurs fois avant de le porter à ses lèvres comme si ce simple geste pouvait l'aider à exorciser ses sombres pensées.

Quelques minutes plus tôt, inquiète, ma mère me rejoignit en cuisine pour me signifier que Ashley n'avait pas fini son plat et qu'elle avait prétexté un mal de tête pour pouvoir s'éclipser. En soi, cela n'était pas inquiétant, mais ma mère avait insisté sur le fait que Ashley paraissait bouleversée en quittant la table. Après avoir laissé les commandes à mon second, je me rendis d'abord vers sa chambre et, n'ayant pas de réponse de sa part, sans savoir pourquoi, je me dirigeai au dernier étage afin de me rendre sur la terrasse de l'hôtel. Et elle était là, perdue dans un monde où je ne voyais que de la tristesse. La légèreté de ses traits avait totalement disparu. Ne souhaitant pas la laisser seule avec ses démons, je m'approchai doucement.

— Juste pour information, le vin n'est pas très conseillé contre le mal de tête.

N'ayant pas remarqué ma présence, l'intonation de ma voix la fit sursauter, manquant de lui faire renverser le contenu de son verre. L'abattement sur son visage fut balayée pour laisser place à une mâchoire crispée.

— Qu'est-ce-que tu fais ici, Jack? demanda-t-elle sans prendre la peine de cacher son exaspération.

— Ma mère m'a envoyé te voir, elle s'inquiétait pour toi.

— Comme tu peux le constater, dit-elle en levant son verre, je vais à merveille donc tu peux retourner auprès de tes clients et de ta famille.

Je ne connaissais pas encore toutes les facettes de la personnalité d'Ashley, mais je savais une chose sur elle. Être vulnérable était un signe de faiblesse et quand elle se montrait insensible c'était pour mieux cacher son sentiment de fragilité. De l'index, je relevai son menton afin de l'obliger à croiser mon regard.

— Ashley, dis-moi ce qui ne va pas.

— Rien, comme je viens de te le dire tout va pour le mieux, prononça-t-elle avec un sourire forcé. Alors tu peux retourner dans ton restaurant.

— Non! dis-je. Je n'irai nulle part. Dis-moi ce qui ne va pas.

— Qu'est-ce qui te fait penser que j'ai envie de me confier à toi? Pour rappel, on se connait à peine toi et moi.

— Je resterai planté ici jusqu'à ce que tu parles.

— Sérieusement, Jack?

Je me saisis de son verre et le portai à mes lèvres. Mon petit acte de rébellion me valut un long soupir.

— Très bien, dit-elle sur un ton ironique. Tu veux vraiment savoir ce qui ne va pas?

Je déposai le verre sur la table haute et plongeai mon regard dans le sien pour lui faire entendre que je ne bougerai pas sans une réponse de sa part. Résignée, après un haussement d'épaules, elle se confia enfin.

— Ta mère m'a posé une simple question. Elle m'a juste demandé si j'étais orpheline lorsque Catherine m'a recueillie. Et là, ce fut la panique complète. Je n'ai pas su quoi répondre. Il y a encore trois semaines de cela, j'aurais répondu à cette question sans aucune hésitation. Mais c'était avant de savoir que Jacob était volontairement sorti de ma vie pour me protéger.

— Tu m'excuses, Ashley, mais je ne comprends plus rien.

— Imagine-moi alors !

Ashley poursuivit et m'expliqua ce que Catherine et Jacob lui avaient caché durant toutes ces années. Le suicide de sa femme Lyly sonna pour Jacob comme un rappel à l'ordre. L'univers lui envoyait un message fort pour lui faire renoncer à sa vie de trafiquant. Ses choix avaient entrainé la mort de sa femme et il était hors de question qu'il perde le seul être cher qui lui restait. Au fil des années, son père avait gravi les échelons au sein d'une organisation de trafic de stupéfiants où, à force de travail acharné, il était devenu un membre important. Il lui était donc impossible de tout quitter sans obtenir l'accord de ses deux associés. Ensemble, ils convinrent que Jacob devait encore travailler exactement trente-deux mois pour qu'ils le laissent partir sans aucune contrepartie. À aucun moment il ne se douta qu'il s'agissait d'un piège. La police rassemblait déjà depuis plusieurs mois des preuves contre l'organisation et ses différentes ramifications. Ses associés, voyant l'étau se resserrer, passèrent à l'insu de Jacob un marché avec les autorités où toute la responsabilité du trafic était endossée par lui seul. Et c'est ainsi que douze jours avant de démarrer sa nouvelle vie, la police débarqua en pleine nuit et que, sous les yeux d'Ashley, son père fut mis en état d'arrestation. Pour être sûr que Jacob ne donne pas une tout autre version, il reçut le lendemain de son incarcération la visite d'un ancien collaborateur l'informant amicalement que s'il parlait, il aurait tout simplement la mort de sa fille sur la conscience. Dès lors, Jacob mit tout en œuvre pour sortir Ashley de sa vie dans l'unique but de la protéger.