Epilogue 3 - Jack

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14 septembre 2015


En dépit de la séance de soin effectuée la veille dans un salon spécialisé pour homme très prisé de Manhattan, mon reflet dans le miroir n'était pas à mon avantage. Toutes les crèmes et sérums utilisés par Andrew, mon esthéticien n'avaient pas réussi à gommer le manque de sommeil sur mon visage. Depuis notre dernière rencontre, de légers cernes avaient pris place sous mes yeux, me rappelant chaque jour le combat intérieur que je menais pour faire les choses bien. Pour tout mon entourage, c'était le signe que j'en faisais trop. Entre les deux restaurants, les cours de cuisine, mon nouveau projet culinaire, sans compter mes deux heures de sport journalières, tout le monde pensait que tout cela avait raison de mon sommeil et que je devais lever le pied. Mais moi, je connaissais la vérité ; toutes ces activités, elles seules m'aidaient à garder la tête hors de l'eau et à ne pas sombrer. Faire les choses bien. Rentrer à mon ancien appartement était toujours ce qu'il y avait de pire avant que je ne déménage et le mette en location. Trop de souvenirs... Un mélange doux et amer habitait dorénavant ce lieu et je n'y avais plus ma place. Il était le rappel quotidien de cette soirée où ma vie entière avait basculé, où en quelques minutes, tous les merveilleux moments passés entre ces murs furent occultés par son immense chagrin. Ses mots ! Longtemps, ils avaient résonné en moi, aliénant tout l'amour que j'avais pour elle, jusqu'à ce qu'elle revienne dans ma vie avec ces mots que j'avais désespérément attendu qu'elle prononce : Je t'aime Jack.

Je sursautai quand quelqu'un frappa à la porte, m'arrachant aux réflexions sombres que m'inspirait mon reflet dans le miroir. Aujourd'hui était un grand jour, son grand jour, je le lui devais. Faire les choses bien. Je pris une profonde inspiration pour reprendre le dessus sur toutes mes émotions et me donner un air conforme aux circonstances.

— Entrez, répondis-je.

L'arrivée de mon frère aîné Éric fut suivie d'un sifflement admiratif.

— Pas mal du tout, dit-il. En fait quand tu veux, tu peux être plaisant à regarder pour la gent féminine.

— Je te remercie pour le compliment.

Il s'approcha de moi et arrangea mon nœud de cravate, comme mon père l'aurait fait s'il avait encore été parmi nous.

— Comment te sens-tu ? demanda-t-il.

Comme un homme qui, d'ici moins d'une heure, dira définitivement adieu à la femme qu'il aime, sans retour en arrière possible, pour entamer une vie simple, paisible, où aimer n'était pas anxiogène. En somme, une belle histoire, mais intérieurement, ce n'était pas cette histoire que je voulais vivre, mais cela je le gardais pour moi.

— Super, mentis-je. J'ai vraiment hâte d'y être.

Mon frère me lança un regard qui en disait long. Il savait, il connaissait la vérité, mais comprenait-il mon geste ? Sans dire un mot, il se dirigea vers la table basse et remplit deux verres d'un whisky de trente ans d'âge. Une petite folie rapportée de son dernier voyage au Japon et, en ce jour si particulier, il me faisait profiter de la texture soyeuse aux arômes fruités de ce spiritueux d'exception. Il me tendit mon verre et je l'acceptai avec une joie non dissimulée.

— Maintenant la vérité, dit-il. Comment te sens-tu ?

Je vidai d'une traite mon verre. Décidément, je ne pouvais rien lui cacher, même âgé de trente-cinq ans, je restais son éternel petit frère.

— J'aurais préféré une autre fin, avouai-je.

— Tu as encore le pouvoir de changer les choses, Jack.

J'inspirai profondément, je voyais où il voulait en venir, mais il était trop tard.

— Bien sûr que non et tu le sais. Jamais plus je n'arriverais à me regarder en face si j'agissais ainsi.

— Je vois, dit-il en avalant une gorgée de whisky. Lui as-tu parlé ?

Non ! Pas depuis cette nuit-là, dans sa chambre d'hôtel où elle et moi, dans la plus totale frénésie, nous nous étions perdus dans la caresse de nos deux corps. À mon réveil, les seules traces de son passage étaient les draps froissés empreints de son parfum et le mot laissé sur la table de chevet. Sois heureux. Et plus rien, elle n'avait répondu à aucun de mes appels ou courriels. Claire et Sœur Catherine m'avaient demandé de respecter sa décision et, par pure lâcheté, je l'avais fait. Alors non ! Je ne lui avais pas parlé.

— Non, répondis-je en rapportant le verre à mes lèvres après l'avoir de nouveau rempli. Et cela ne servirait à rien car elle et moi nous sommes déjà tout dit, pour preuve, je m'apprête à faire le grand saut.

— Jack...

— Éric, stop ! Ça suffit, j'ai pris ma décision et je te demanderais de la respecter.

Mon ton ferme ne laissait aucune place à la discussion. Il n'y avait plus rien à dire, j'allais unir mon destin à cette femme formidable qui était désireuse de fonder notre famille.

— Très bien, Jack, finit-il par dire en se levant. En tant que témoin, je vais vérifier si notre petit porteur d'alliances est fin prêt.

À la pensée de mon neveu dans son petit smoking bleu marine portant sur un coussin blanc les alliances, un sourire s'étira sur mon visage. Le premier de la journée. Je me retournai vers le miroir, inspirai profondément et expirai lentement.

— Peux-tu t'assurer aussi que ma fiancée soit prête ? demandai-je.

Éric ouvrit la porte, s'arrêta dans l'embrasure et fit volte-face avec un sourire réconfortant.

— Papa serait fier de toi, Jack.

La porte se referma silencieusement, me laissant à nouveau seul avec mes regrets, mais le sentiment de faire les choses bien.

Quelques minutes après, je fus rejoint par François et Raphael, mes deux autres témoins. Ils m'avaient offert un enterrement de vie de garçon mémorable à Acapulco. Trois jours à profiter des plages de sable fin, des activités nautiques et des discothèques les plus chics de l'île. Mes amis d'enfance avaient fait les choses en grand et grâce à eux, je pus oublier, faire le vide pour mieux accepter que, d'ici quelques jours, je l'aurais définitivement perdue.

— Prêt ? me questionna François avec son fils de trois mois endormi dans ses bras.

L'image qu'il renvoyait était celle du bonheur. D'une certaine façon, je l'enviais, il était marié à la femme de sa vie et père de deux magnifiques enfants. Il était comblé. Je leur adressai un signe de tête et, accompagné de mes témoins, je franchis l'entrée de l'église où je fus accueilli par ma mère et ma sœur qui me prirent dans leurs bras. Et là, tout bascula, debout sur ce long tapis blanc, marchant en direction de l'autel, je ne prêtai attention ni à la décoration ambiante, ni aux sourires que m'adressèrent les convives à son entrée dans l'église sous la chanson Make You Feel My Love de la chanteuse Adèle, ni au prêtre lorsqu'il entama notre union. Toutes mes pensées étaient tournées vers elle, à tout l'amour que j'éprouvais pour elle. Elle faisait battre mon cœur comme aucune autre et pourtant...

— Monsieur Jack HUNTER, voulez-vous prendre pour épouse ici présente mademoiselle Heather COURT ?

Oui, m'entendis-je dire. Un gouffre m'envahit. Je ne tiendrai pas ma promesse. Cette fois-ci, je ne l'avais pas rattrapée. Je renonçais à elle, à moi, à nous. Par ce simple mot, je venais de la perdre pour toujours, mon ensorceleuse, mon cœur, ma bécasse...H.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant