Chapitre 22 - Ashley

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Assise sur mon lit, je capitulai. J'avais beau essayer de déployer toute mon énergie pour me plonger dans mon roman, le polar scandinave Profanation, les mots glissaient sous mes yeux sans que je n'en comprenne le sens. Et tout ça, c'était la faute d'une seule personne bornée qui décidait de passer outre mon exhortation de sortir de mon appartement et de ma vie. Les bruits extérieurs me confirmaient que Jack souffrait du même entêtement que moi. Depuis plusieurs minutes, il s'affairait dans ma cuisine. Je l'entendais ouvrir les différents placards où Claire et moi rangeons nos ustensiles offerts trois ans plus tôt lors de notre pendaison de crémaillère par Catherine. Tout un attirail de casseroles et d'accessoires culinaires. Elle avait même investi pour nous dans un robot multifonctions Kitchenaid qui, au lieu de servir à nous préparer des repas, se trouvait être parfait pour faire de la glace pilée lors de nos soirées Margarita. Secrètement, Catherine espérait que ce matériel encouragerait l'une de nous deux à se lancer dans la cuisine pour abandonner nos plats à emporter. Mais là encore, pourquoi préparer et manger des plats tout juste mangeables alors qu'en un clic sur notre Smartphone nous pouvions déguster en quarante-cinq minutes un poke-bowl au thon ou encore un mille-feuille de saumon, tranquillement installées sur notre canapé? À l'évocation de nourriture, mon estomac se manifesta par un grognement tonitruant, me rappelant que je n'avais toujours pas dîné.

— Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi, dis-je à son attention. Je te rappelle que tant qu'il sera dans l'appartement, il est hors de question que je mette ne serait-ce qu'un orteil en dehors de ma chambre.

Pour toute réponse, mon estomac gargouilla de plus belle. Décidément, ce soir mon corps était tout sauf coopératif, entre mes tétons qui se mettaient à durcir comme des blocs de granite en voyant Jack debout dans mon salon et mon ventre qui ne pouvait s'empêcher de montrer son impatience, je ne contrôlais plus rien. Même si cette situation était une première pour moi, je savais quoi faire pour me vider la tête. D'un bon, je sautai hors du lit pour récupérer sur mon bureau mon ordinateur portable. Un seul film pouvait remettre en adéquation mon corps et ma tête : Alien, Le huitième passager. Je me souvenais encore de l'effet de ce chef d'œuvre du réalisateur Ridley Scott, mélangeant horreur et science-fiction. J'avais tout juste seize ans et à l'insu de Catherine, en raison de son refus que je regarde ce genre de film, j'avais programmé notre lecteur cassette vidéo afin de l'enregistrer. J'avais flashé sur la bande-annonce et onze ans plus tard, il était toujours classé dans le top trois de mes films préférés : avant Moulin rouge, mais après Autant en emporte le vent. Pour la première fois, je réalisais que chacune des héroïnes de mes films préférés avait une vie tragique. Autant, je ne me retrouvais pas dans celle de Scarlett O'Hara ou de la courtisane Satine, mais dans celle d'Ellen Ripley, complètement. C'était une battante qui n'aimait pas se faire marcher sur les pieds. La partie moins sympa était qu'elle était solitaire par la force des choses car tous ses proches mouraient pratiquement toujours. Et embarquer à bord du cargo spatial Nostromos n'allait pas améliorer sa situation. De mon côté, je ne pouvais pas dire que j'étais solitaire car j'avais Catherine, Claire et Hurl, même si souvent, l'enthousiasme de ce dernier face aux choses simples de la vie m'exaspérait, mais il était toujours présent pour moi. Ce qui me rapprochait de Ripley, c'était nos blessures. Elles avaient façonné notre force de caractère et ce besoin d'éloigner toute intimité de notre vie.

Je lançai la vidéo et la magie opéra instantanément. J'arrivais enfin à occulter la présence de Jack dans mon appartement ainsi que les manifestations incessantes de mon estomac. À l'écran, le cargo spatial Nostromos poursuivait son vol retour vers la Terre. Je n'avais jamais compris pourquoi Ripley avait quitté sa fille Amanda âgée de dix ans pour se rendre en mission dans l'espace. Non pas que je me souciais qu'elle laisse sa gamine, seulement l'espace m'effrayait. Pour moi, il était synonyme de néant avec des paramètres encore trop inconnus et donc non maîtrisables. Et toi, Ashley, tu aimes maîtriser les choses!

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant