Chapitre 21 - Jack

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Habillée d'un simple débardeur plaqué sur son corps mince et d'un pantalon molletonné trop large pour elle, Ashley avait un look de lycéenne rebelle. Ses boucles de cheveux mouillées encadraient son visage et retombaient lourdement sur son dos. Sa beauté naturelle était un attrait pour les yeux, un péché pour lequel j'avais inconsciemment succombé dès notre première rencontre. Le visage fermé, elle arborait son air méprisant. À mes dépens, j'avais compris qu'elle le pratiquait à merveille dès qu'elle se sentait blessée ou en danger. Jamais, je n'avais connu une femme avec un tel instinct de préservation. La muraille qu'elle s'était bâtie l'aidait à se protéger de son passé. Un passé douloureux, au vu du rendez-vous auquel j'avais assisté en fin d'après-midi. Il y a fort à parier qu'il soit la cause de la carapace qu'elle s'était forgée. Mon estomac se retourna à imaginer l'enfance qu'elle avait pu vivre avant d'être recueillie par Sœur Catherine. Mon instinct protecteur me poussait à la serrer dans mes bras et balayer d'un revers de la main toutes ses souffrances. Mais je n'en ferais rien. Ce simple geste, même s'il partait d'un bon sentiment, mettrait fin instantanément à ma relation très chaotique avec Ashley. Déjà que d'avoir mis un terme à notre étreinte dans la voiture n'allait pas m'aider à revenir dans ses bonnes grâces, donc il n'était nullement dans mon intérêt de creuser davantage ma tombe. Cependant, il n'y avait rien à regretter. Bien sûr que j'avais envie d'elle. Mon désir en devenait même douloureux. Cependant, elle n'était pas une femme parmi d'autres, non, elle était la femme. Celle avec qui je voulais danser sous la pluie, marcher main dans la main en sentant le sable mouillé sous mes pieds, aimer sous mes lèvres des journées entières pour la sentir frémir. Alors il m'était tout simplement inconcevable que notre premier moment d'intimité se déroule dans ma voiture sur le parking d'une prison. Pas avec elle. Je désirais quelque chose de plus égoïste, dépassant l'aspect physique. À bien analyser, mon désir allait bien au-delà d'un simple corps à corps, je voulais qu'elle m'ouvre son âme, que je sois le premier à la voir sans sa muraille. Juste elle, à nu. Durant le trajet en voiture, j'avais essayé de lui expliquer, mais face à son refus de m'écouter, comme un lâche je m'étais retranché derrière. Comment lui avouer les raisons pour lesquelles j'avais mis fin à notre étreinte sans l'effrayer alors que moi-même j'étais en proie à ce sentiment? Ce que Ashley éveillait en moi était irrationnel. Je la connaissais tout juste et pourtant je ressentais pour elle bien plus qu'aucune autre femme, dans mes relations passées, ne m'avait inspiré. Si seulement elle prenait conscience de l'effet qu'elle produisait sur moi.

En la voyant se diriger vers son immeuble sans se retourner, une boule d'angoisse s'était formée au creux de mon ventre. Venais-je de la perdre? m'étais-je alors demandé. Cela, je ne pouvais pas me le permettre. Sous la pluie dont l'intensité avait diminué, j'avais désespérément cherché une place de stationnement durant plusieurs minutes. Mais se garer dans une rue au centre de Toronto relevait d'un miracle, j'avais donc finalement opté pour l'option « parking public ». Le plus proche indiqué par le GPS se trouvait à neuf cent mètres de l'immeuble d'Ashley. Tout en remontant la rue, abrité sous mon parapluie, je m'étais répété en boucle que tout cela était insensé. Mais poussé par la crainte de la perdre, vingt minutes plus tard je m'entretenais avec le réceptionniste de son immeuble afin qu'il annonce ma présence. Ma demande, en entendant le nom de famille d'Ashley, fut accueillie avec une stupeur qu'en dépit de son professionnalisme, l'homme d'une cinquantaine d'année assis derrière son comptoir dissimula à grand-peine. Je m'interrogeais sur ce qui, dans le comportement d'Ashley, avait pu conduire à cette réaction. À cet instant, l'attente fut mon pire cauchemar, sachant qu'il y avait une chance infime qu'elle accepte de me laisser monter. Quel ne fut pas mon soulagement quand sa colocataire donna son accord. Intérieurement, je remerciai l'univers de ce petit coup de pouce. À mon arrivée, je fus chaleureusement reçu.

— Alors c'est toi Jack, avait-elle formulé en me détaillant, sans aucune gêne, de ses yeux bleus. Enchantée, je suis Claire, la meilleure amie d'Ashley.

Je ne saurais dire si c'était bon signe, mais visiblement Ashley avait parlé de moi à son amie. Après m'avoir questionné sur les motifs de ma présence, elle m'avait proposé un verre de vin que j'ai poliment refusé. Debout dans le salon à l'ambiance feutrée, grâce aux teintes bleu cobalt, jaune moutarde et anthracite, j'avais patienté le temps qu'elle avise Ashley de ma présence. Un grand tapis aux motifs ethniques reposait sur le sol et le canapé d'angle avec ses coussins aux formes rebondies appelait à la détente. Deux plantes vertes aux larges feuilles semblaient se battre pour leur survie. Quelques photos des deux amies apportaient une touche intime à la pièce. Mon regard s'était posé sur la vue époustouflante qu'offrait l'appartement de Claire et d'Ashley. Dominant la ville, elle procurait un sentiment de sécurité. La pluie s'était arrêtée, donnant un peu de répit au ciel afin qu'il retrouve un visage digne de l'été. Perdu dans mes pensées, Ashley, d'un raclement de gorge, m'avait signifié sa présence. Et maintenant, elle était en face de moi, furieuse, me demandant de sortir de sa vue.

— Je veux que toi et moi éclaircissions ce malentendu, répondis-je.

— Il n'y a aucun malentendu, dit-elle sèchement. Je me suis emballée et tu as mis fin à cette mascarade. Fin de l'histoire. Seulement toi, tu persistes et maintenant tu te permets de venir chez moi.

— Tu vois, il est là le malentendu. Moi aussi, j'avais terriblement envie de toi, mais je voulais faire les choses bien et ne pas faire ça sur le siège avant de ma voiture. En plus, tu étais bouleversée à la suite de ton entretien avec monsieur JONHSON.

Le visage d'Ashley devint cramoisi. Visiblement, mon petit discours n'avait rien arrangé. Ses yeux me foudroyèrent.

— Oh! Et tu es venu chez moi pour quoi faire, pour conclure en faisant les choses bien? Tu veux reprendre là où nous nous sommes arrêtés dans ta voiture?

— Ashley, voyons non, tu déformes mes propos.

— Ah! Et maintenant je déforme tout, je ne comprends pas ce que tu veux me dire. Alors écoute très clairement chacun de mes mots. Il n'y aura jamais de première fois entre toi et moi, ni ici, ni dans ta voiture et ni ailleurs.

Je ne savais plus quoi faire. Et puis franchement, vu son état d'énervement, tout ce que je dirais se retournerait contre moi. Souviens-toi, Jack. Persévérance.

— Je ne te raccompagne pas, tu connais la sortie. Tu n'auras qu'à claquer la porte derrière toi.

Sur ces mots, elle me tourna le dos et se dirigea vraisemblablement vers sa chambre. Comme le plus grand des idiots, je me retrouvais seul dans le salon. J'essayais toujours de comprendre comment la situation avait pu m'échapper ainsi. Finalement, je n'avais pas réussi à m'expliquer et me retrouvais au même point. Avec Ashley, en plus de la chance et de la persévérance, il me faudrait aussi savoir faire preuve de patience. Et il m'en faudra pour deux, voire pour trois ou quatre.

Je ne connaissais qu'un moyen de me faire pardonner pour revenir dans ses bonnes grâces et cela passait par son estomac. En ouvrant ses placards et son réfrigérateur, quel ne fut pas mon désappointement!? Je déchantais. Vide. Ou du moins, quasiment vide. J'étais stupéfié, c'était à se demander de quoi se nourrissaient-elles? Les pourparlers allaient difficilement s'entamer si je ne pouvais pas lui préparer un dîner. La malheureuse courgette, les quatre champignons frais et les œufs devraient faire l'affaire. Ce ne serait pas de la haute gastronomie, même avec toute la bonne volonté du monde, mais je serais en mesure de lui proposer une omelette aux champignons accompagnée d'une brunoise de courgettes. En ouvrant les différents placards, je trouvais également des tablettes de chocolat. La chance tournait à mon avantage. Quoi de mieux pour se faire pardonner qu'un dessert gourmand.

Je m'affairai tranquillement afin de laisser du temps à Ashley pour se retrouver. À y réfléchir, la journée n'avait pas été de tout repos pour elle avec l'annonce de l'état de santé de son père. Elle était totalement déboussolée et pour une femme comme elle qui aimait contrôler ses émotions, cela avait dû être déroutant. Je repensais à ma conversation avec Ashley, ce matin dans la cuisine de Sœur Catherine, elle m'avait avoué que sa famille se limitait à sa meilleure amie Claire, Hurl et Sœur Catherine. Qu'en était-il de son père Jacob ? Que s'était-il passé pour qu'elle ne l'ait pas revu depuis quinze ans ? Tant de questions restées en suspens. Et j'avais la certitude que la réponse à toutes mes interrogations me permettrait de mieux la comprendre.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant