Chapitre 39 - Ashley

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Depuis la vitre teintée de la berline noire, je regardais les new-yorkais se frayant un chemin sur les trottoirs bondés. Avec sang-froid, le chauffeur privé s'engagea dans la circulation dense alors que des véhicules venaient de toutes parts. Découvrir ainsi la ville sans être vue par les passants qui semblaient courir malgré eux, comme emparés par l'ébullition environnante, me donnait l'impression de les épier à leur insu et j'adorais ça. À l'autre bout de la banquette, Jack conversait au téléphone avec sa mère. De l'extrémité du majeur, il effleurait le dos de ma main comme si notre éloignement lui était insupportable et que maintenir un contact entre nous était vital. Sans vraiment porter attention à sa discussion, mes oreilles indiscrètes percevaient des bouts de sa conversation. À priori cette semaine, il s'était engagé à accompagner Bella chez le vétérinaire et par deux fois, il avait manqué le rendez-vous. N'ayant vu la présence d'aucun animal dans son appartement, j'en déduisis que sa mère était la maîtresse de Bella. Puis Jack commença à répondre en monosyllabes. Oui. Non. Okay. Très bien. Ce ne fut qu'une fois qu'il raccrocha que je compris pourquoi.

— Ma mère te passe le bonsoir. Elle souhaitait savoir comment tu te sentais après ton mal de tête d'hier soir.

— Merci de l'avoir rassurée.

Que dire d'autre. Assurément, sa mère venait de lui parler de moi et l'échange ne s'était pas limité à un simple bonsoir. Ses inquiétudes ne devaient pas porter uniquement sur mon mal de tête. En même temps, vu mon comportement d'hier soir à table, je ne pouvais l'en blâmer. Mais bon, elle n'avait pas à s'inquiéter. Dès demain matin, adieu New-York et avec ça, son fils chéri. Je reprendrais le cours de ma vie comme si cette parenthèse ne s'était jamais produite. Quelques minutes plus tard, le chauffeur s'arrêta devant la vitrine de chez Jo Coiffeur Barbier et à en croire l'enseigne, cet établissement se transmettait de père en fils depuis mille neuf cent vingt. En réponse aux plis formés sur mon front, Jack me tendit la main et m'invita à le suivre, m'entraînant vers l'établissement. À l'intérieur, la décoration détonnait avec l'enseigne extérieure. Le salon était très féminin avec un style baroque moderne aux tons or, noir et blanc. Le propriétaire avait réussi à créer une atmosphère très chic et cosy. En face de chaque fauteuil, de grands miroirs dorés jouxtaient les murs, permettant ainsi aux clients d'apercevoir leur nouvelle apparence, se matérialisant sous les doigts experts du coiffeur. Dans un espace retiré, un coin dans l'esprit boudoir était aménagé avec des canapés de formes différentes appelant à la détente et à la confidence. Un homme imposant dont la stature de prime abord ne ressemblait en rien à celle d'un coiffeur, vint à notre rencontre.

— Madame, monsieur, avez-vous rendez-vous? demanda-t-il avec un fort accent anglais.

— Mon amie et moi sommes en panne et nous souhaiterions utiliser votre téléphone pour joindre un dépanneur.

Je lançai un regard interrogateur à Jack auquel il répondit par un clin d'œil. Dans un geste rassurant, sa paume encercla ma nuque. Son pouce se plaqua entre mon oreille et ma clavicule.

— Vous trouverez un téléphone dans le fond du couloir, nous dit-il en indiquant ledit couloir d'un geste de la main. Je vous prie de faire le numéro 777-412 pour joindre la ligne extérieure.

Une multitude de questions se bousculaient dans ma tête. La curiosité me rongeait, mais l'excitation de découvrir ce que Jack me réservait me plongeait dans un silence nerveux. Finalement, peut-être que j'aimais les surprises?

Tout de blanc, habillé de moulures aux formes florales, le couloir ne débouchait sur aucune porte ou autre pièce. C'était à penser qu'il avait été créé uniquement pour accueillir le téléphone à cadran accroché contre le mur d'en face. De couleur or, sa stature souveraine aurait pu rendre jalouse la reine d'Angleterre. Après m'avoir adressé un dernier regard ponctué d'un prête pour l'aventure, de l'index, Jack composa le numéro indiqué par notre colosse anglais. Au moment où Jack tourna une dernière fois le cadran avec son doigt dans l'espace dédié au chiffre deux, un léger cliquetis derrière moi se fit entendre et une porte dissimulée dans le mur s'ouvrit, laissant échapper des effluves d'alcool ainsi que des bruits de voix confus. Sans comprendre dans quoi je m'engageai, je traversai la porte. Et là, débout sur une estrade, je fus transportée quatre-vingts ans en arrière en pleine époque de la prohibition. Seule la tenue vestimentaire des clients me rassura et me rappela que j'étais bien au vingt-et-unième siècle. Sur la gauche, un bar composé d'un mélange de bois et de métal était animé par trois barmans, vêtus d'un pantalon noir, d'une chemise blanche retroussée au niveau du coude et d'une cravate.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant