Chapitre 62 - Ashley

251 18 19
                                    

Un nuage de fumée s'échappa de ma bouche quand j'exhalai l'air glacial qui s'amusait à me torturer le visage. C'était tout moi, je n'avais pas su choisir le meilleur jour pour me recueillir sur la tombe de ma mère avec, sous le coude, les cendres de mon père. En même temps, existait-il un moment idéal pour ce genre de chose ? Une épaisse couche de neige recouvrait le sol et les branches nues des arbres dansaient au rythme du souffle du vent. Un calme apaisant régnait comme si la nature elle-même se recueillait pour accompagner les pensionnaires du cimetière vers leur dernière demeure.

Depuis le décès de ma mère, jamais je n'étais venue me recueillir sur sa tombe. Avant de renouer avec Jacob, elle ne représentait à mes yeux que cette femme qui avait renoncé à élever sa fille en se donnant la mort. Il me fallut retrouver Jacob et le perdre à nouveau pour comprendre que tout cela était bien plus compliqué qu'il n'y paraissait. Franchement, l'année deux mille onze aura été riche en émotion. Tout ce que tu aimes, Ashley ! Pour résumer, les fantômes de mon passé avaient fait leur retour et malgré mes réticences, une nouvelle personne était entrée dans ma vie. Et que craignais-je le plus ? Les fantômes ? Non ! Ils ne pouvaient plus me faire de mal. Du moins, pas davantage que ce qu'ils m'avaient déjà infligé. Mais Jack c'était différent. Lui, il pouvait. Il avait toutes les cartes en main. Pour preuve, toutes mes craintes et mes réserves ne l'empêchèrent pas de prendre petit à petit une place dans ma vie. Une bourrasque se mêla à mes cheveux, les faisant virevolter autour de mon visage et ramenant mon attention sur l'inscription de la pierre tombale en granit gris À notre fille bien-aimée, les anges t'accompagnent. Aucune allusion sur sa vie d'épouse ou de mère ne figurait sur la pierre. Même dans le deuil, mes grands-parents maternels faisaient passer le message que Jacob et moi n'appartenions pas à leur famille. Ils n'avaient jamais accepté le mariage de Lyly et encore en moins l'enfant qui en était né : moi. Durant sa grossesse, ils avaient été très clairs. Ils ne me considéraient pas comme leur petite-fille. Que mon père et moi assistions à l'enterrement de Lyly n'était pas rentré dans leur considération. Ainsi, ils prirent en charge l'enterrement de ma mère et Jacob n'eut aucun mot à dire sur le déroulé de la cérémonie. De toute de façon, lui et moi n'y étions même pas conviés. Ils tenaient mon père pour responsable du décès de leur fille et lui, de son côté, avait laissé les choses se faire car lui-même en était persuadé.

Pourtant, tout ce gâchis n'était la faute de personne. Sauf peut-être de ma mère elle-même. Incapable de se construire pour être heureuse, elle n'avait pas su prendre son bonheur en main. Comme Atlas portant le poids du monde sur ses épaules, elle avait confié ce fardeau à mon père pour ensuite mettre fin à ses jours. Quant à lui, il ne s'était jamais pardonné de ne pas avoir su rendre ma mère heureuse.

Quelle tristesse ! Tout cela pour me retrouver vingt-trois ans plus tard devant la tombe de cette femme : ma mère qui était une parfaite étrangère à mes yeux avec entre mes mains les cendres de mon père avec qui je venais tout juste de renouer avant que le cancer ne l'emporte. Ma vie était digne d'une série télévisée dramatique. En tout cas, j'avais tiré une leçon de tout cela. J'étais le seul maître de mon bonheur et de ma vie.

— Ashley, mon ange, ça va ?

La voix de la femme la plus importe de ma vie m'arracha à mes pensées. La main de Catherine se posa délicatement sur mon bras, l'inquiétude se lisait sur son visage. Même si elle ne me reprocha rien, je savais que mon départ précipité pour New-York l'avait rendue folle d'inquiétude et cela en dépit des appels quotidiens de Jack. Dans ma fuite, je m'étais conduite comme une parfaite égoïste. J'avais occulté la peine et l'angoisse que je lui ferai. Après tout, je cherchais juste à retrouver un air respirable. Je la pris dans mes bras et déposai un bisou glacé sur sa joue froide.

— Oui tout va bien, ne t'inquiète pas pour moi.

— En es-tu certaine ?

Il y avait tellement de sollicitude dans sa voix. Mon cœur se serra tant j'aimais cette femme exceptionnelle. Celle que je considérais comme ma véritable mère.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant