Chapitre 52 - Jack

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Les amoureux de l'automne devaient regretter la douceur de ces deux derniers mois. Les premiers jours de décembre arrivèrent avec un mélange de pluie et de neige. Le thermomètre frôlait les températures négatives et les arbres vêtus de leur joli feuillage aux couleurs chatoyantes jaune, orange, rouge et marron avaient laissé place aux branches nues valsant au gré du vent. Le temps semblait être solidaire avec l'humeur d'Ashley. Quatre jours s'étaient écoulés depuis son apparition à New-York et quasiment aucun mot n'avait franchi ses lèvres. Toutes mes propositions étaient suivies d'un simple non. Pas non merci, juste non. Veux-tu sortir te promener ? Non. Veux-tu profiter de la salle de sport ou de la piscine ? Non. Souhaites-tu manger un plat en particulier ? Non. Es-tu prête à parler de Jacob ? À cette question, le Non était systématiquement remplacé par un regard des plus glacials. Je n'insistai donc pas. Dans son comportement, tous les signaux montraient qu'elle n'était pas prête à se confier. Pour être honnête, ses journées consistaient à rester enfermée dans ma chambre, les rideaux tirés, à dormir dans l'un de mes pyjamas. Le lendemain de son arrivée, sur le site internet de la boutique Bergdorf Goodman, je lui commandai des vêtements, de la lingerie et des produits de beauté. Par chance, le site internet proposait également à la vente la marque française de cosmétiques Sisley Paris. Marque de beauté qu'utilisait Ashley. Je le savais car, lors de son premier séjour à New-York, dans la salle de bain de l'hôtel, ses produits de beauté trônaient au milieu de la double vasque. Mais tout cela n'avait servi à rien pour le moment. Elle ne prêta aucune attention aux vêtements que je lui avais achetés. Mon bas de pyjama était devenu sa deuxième peau, elle passait ses journées et ses nuits dedans. Je me réconfortais sur le fait qu'au moins, elle changeait de haut tous les jours. Pour cela, elle se servait directement dans mon dressing. D'ailleurs, la seule occasion où je reçus une autre réponse que le non habituel, ce fut lorsque je demandai si mon pyjama était devenu son pantalon préféré ? Là j'eus droit à un oui. Pas de manière explicite car aucun son ne sortit de sa bouche, mais elle avait opiné d'un mouvement de tête.

Pour faire simple, se nourrir, se laver et s'habiller passaient totalement au second plan. J'avais bien peur de retrouver un jour, étendue dans mon lit, une Ashley avec la peau sur les os. Afin d'éviter cela, je faisais des allers-retours entre l'appartement et les restaurants. Je restais alors à ses côtés pour m'assurer qu'elle mange. Connaissant ses goûts culinaires, je ne lui préparais que des plats qui d'ordinaire faisaient l'unanimité et qu'elle finissait en quelques minutes. Mais là, elle picorait tout juste dans son assiette pour ensuite retourner dans la pénombre de ma chambre.

Son éloignement de Toronto et donc de ses proches était son cri d'alerte et après quatre jours passés à la maison, je ne voyais aucune amélioration. Elle était toujours aussi renfermée sur elle-même. Me réconfortant dans les propos de Sœur Catherine, je me répétais en boucle qu'elle ne s'était pas retrouvée devant mon immeuble par hasard. À sa façon, elle me demandait de l'aider à traverser cette épreuve sauf que, pour le moment, je ne savais pas comment m'y prendre. Du moins, je n'avais pas encore trouvé le déclic lui permettant de lâcher prise pour enfin accepter son deuil et toutes les émotions qui l'accompagnaient. Quotidiennement, je donnais des nouvelles d'Ashley à Sœur Catherine et à Claire. À chacune de nos conversations, l'une me remerciait de prendre soin de son ange et priait chaque jour pour nous. Quant à l'autre, l'intonation de sa voix témoignait son inquiétude grandissante concernant l'état d'Ashley et aujourd'hui ne fit pas exception.

— Jack, si tu le souhaites je peux venir prendre le relais et m'occuper d'Ashley.

Claire ne me laissa pas le temps de répondre et poursuivit dans sa lancée.

— Je m'inquiète sincèrement pour elle. Elle a un comportement que je ne lui ai jamais connu auparavant. Son téléphone est encore en mode avion. Depuis qu'elle a pris la poudre d'escampette, pas une seule fois elle n'a écouté ses messages.

— Claire...

— Laisse-moi terminer, Jack. As-tu conscience qu'Ashley a pris des congés, des congés, répéta-t-elle en insistant sur le mot comme si je ne pouvais l'avoir compris la première fois. Ne pas être à l'hôpital dans un bloc à opérer, c'est impensable pour elle, cela ne s'est jamais produit. Tu...Bref... je m'inquiète sincèrement pour elle.

Le bloc opératoire ! Opérer ! J'étais un véritable idiot ! Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt ? Grâce à Claire, je trouvai enfin la solution pour sortir Ashley de sa torpeur et sus exactement à qui faire appel. Maintenant, le plus difficile restait à faire : convaincre Ashley de sortir du lit et de l'appartement. Connaissant l'entêtement de ma colocataire provisoire préférée, j'allais me heurter à un mur. Mais sur ce coup-là, j'aurais le dernier mot et cela même si je devais la renverser comme un vulgaire sac de pommes de terre sur mes épaules. Sans attendre, je mis fin à la conversation téléphonique.

— Claire, dis-je précipitamment. Je vais devoir te laisser, j'ai peut-être une idée pour aider Ashley.

— Comme ça !? Une idée vient de germer dans ton esprit ?

Intérieurement, je souris au ton ironique de Claire. Pendant un instant, je crus entendre Ashley. C'était à se demander laquelle avait déteint sur l'autre.

— On peut dire ça, renchéris-je. Je t'appelle demain pour te donner le résultat.

— Très bien, ajouta-t-elle. Je te laisse encore une petite chance. Mais je te préviens, si ton plan de génie ne fonctionne pas je débarque directement chez toi, que tu le veuilles ou non.

J'éclatai d'un rire franc. Décidément, ces deux femmes n'étaient pas amies pour rien. Deux fortes têtes qui pouvaient tout balayer sur leur passage si les choses ne se déroulaient pas comme elles l'entendaient.

— Ça marchera, répondis-je confiant. Sur ces belles paroles, ma chère Claire, je t'embrasse et te dis à demain.

Une fois le téléphone raccroché, je mis mon plan à exécution. Première étape, joindre mon futur complice pour avoir son accord. Après une légère explication, sans vraiment entrer dans les détails de la vie privée d'Ashley, il accepta. Deuxième étape, faire sortir ma marmotte du lit et là, je m'aventurai en terrain miné. Tel un combattant, je m'engageai dans une manœuvre périlleuse.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant