Chapitre 50 - Ashley

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Du bout des doigts, je caressai la plaque dorée de l'urne funéraire en granite noir. Mes doigts s'imprégnaient de chacune des lettres gravées :

Jacob Woods

1951-2011

Mari aimant et Père dévoué

Tout ceci était bien réel. Jacob n'était plus, il était ressorti de ma vie aussi vite qu'il y était entré. Je fermai les yeux et essayai d'inspirer une grande bouffée d'air. La douleur fut vive. L'oxygène mettait à feu mes poumons. Assise sur le canapé du salon, je déposai en face de moi l'urne contenant les cendres encore chaudes. Elle commençait à peser trop lourdement entre mes mains, devenant un fardeau que j'avais trop longtemps porté. Claire, Dave et Hurl m'entouraient. Aucun ne parlait, mais leur regard compatissant me renvoyait vers ma propre faiblesse. Celle qui faisait bruit dans ma tête, me répétant inlassablement mes regrets. Ils m'étouffaient, m'empêchant de faire le vide dans mes pensées. Son parfum, des images, sa voix, tout s'entremêlait. J'aimerais que ça cesse mais la main sur mes yeux ne chassait pas les visions de mes derniers instants avec Jacob. Je les rouvris péniblement. Les trois paires d'yeux me fixaient toujours comme s'ils craignaient que je plonge dans la folie. Sans doute avaient-ils raison? Tous ces bruits dans ma tête, il fallait juste qu'ils s'arrêtent pour que je respire à nouveau, pour que le brouillard se dissipe.

La cérémonie du service funèbre fut tout en sobriété. Personnellement, je n'y avais convié personne. Mais sans être vraiment étonnée, Catherine et Claire m'accompagnèrent malgré ma demande d'être seule. À ma grande surprise, Travis se présenta pour me souhaiter ses sincères condoléances. De sa voix chaude, il me rappela que je pouvais compter sur son soutien. Encore une autre marque de compassion alors que moi, je voulais juste que quelqu'un m'explique comment respirer à nouveau. Ne plus ressentir ce poids sur ma poitrine. Catherine avait insisté pour qu'après le service funèbre, tout le monde se retrouve chez elle pour se sustenter. Je n'ignorais pas que tout ceci n'était qu'un prétexte pour me garder à l'œil, de peur que je m'effondre. À mon grand soulagement, Travis refusa l'invitation. Il était attendu à Montréal et devait se rendre à l'aéroport. Quant à Hurl et Dave, ils nous attendaient à la maison. C'était forcément l'œuvre de Claire ou de Catherine. L'une d'entre elles les avait prévenus. À notre retour avec l'urne dans les mains, Hurl ne me posa aucune question. Et pourtant il aurait pu. Depuis notre première rencontre, il me pensait orpheline. Pour lui, mes deux parents étaient décédés depuis mon plus jeune âge. Et voilà qu'aujourd'hui, en milieu d'après-midi, il se tenait à mes côtés pour le décès de mon père. La vie était vraiment une farce doublée d'une belle garce. Durant le peu de temps que Jacob et moi avions partagé, jamais je n'avais réussi à l'appeler papa, je me contenais à Jacob et maintenant qu'il était mort, dans tout mon corps ce mot me percutait dans un écho douloureux. Mince, Ashley, ressaisis-toi.

Heureusement que mes amis avaient l'intelligence de se taire. Toutes leurs petites attentions à mon égard m'étaient tout juste supportables, alors une conversation était simplement inenvisageable. Je portais mon attention sur le magnifique bouquet blanc trônant sur la table à manger. Mélange d'œillets, de lys et de chrysanthèmes, il embaumait la pièce de son doux parfum malgré l'odeur des biscuits au chocolat et oranges confites que Catherine préparait en cuisine. Il avait été livré hier accompagné d'une simple carte de condoléances. L'écriture masculine de son auteur était toujours aussi hypnotique. Mes pensées t'accompagnent. Jack. Encore l'œuvre de Claire ou de Catherine. Si cela ne tenait qu'à moi, il n'aurait jamais rien su. À quoi bon? Je l'avais chassé de ma vie. D'un coup, cette lassitude qui me poursuivait depuis plusieurs jours revint s'abattre sur mes épaules. Ashley, nom de Dieu, ressaisis-toi! Je recentrai mes pensées vers l'urne funéraire. Qu'allais-je faire des cendres? Encore un sujet dont je n'avais pas parlé avec Jacob. Avec le recul, il y avait tant de choses que j'aurais encore voulu lui demander... Catherine m'arracha à mes pensées, déposant sur la table une théière fumante ainsi que l'assiette de biscuits.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant