Chapitre 67

902 44 28
                                    

- Elena ! What the fuck ?
Je lève brusquement la tête en sortant de mes sanglots pour tomber sur Timothée qui s'arrête devant moi, les mains appuyées sur ses genoux en reprenant son souffle.
- I've never run so fast in my life !
Ses yeux bleus-verts croisent les miens, et je suppose que je dois vraiment avoir l'air pitoyable car son visage se décompose en un quart de seconde. Il s'accroupi devant moi en posant une douce main sur mon épaule. Je ne sais pas comment il fait pour toujours avoir ce réflexe de poser une main sur moi mais je déteste ça, vraiment. Je n'aime pas cette sensation d'être touchée par quelqu'un que je ne connais pas, et déjà la première fois qu'il a fait ça à Cleveland je m'étais sentit super mal à l'aise, mais là c'est pire. C'est pire parce que Tom n'est pas là, et qu'à chaque seconde que je passe face à Timothée j'ai l'impression de le trahir. C'est stupide, mais c'est ce que je ressens.
- Hey... ça ne va pas ?
Je me force à arrêter mes sanglots et efface les larmes qui ont recouverts mes joues, lorsque sa main délaisse enfin mon épaule.
- Non, ça va pas non.
Je plonge mon visage dans mes mains, incapable d'arrêter complètement mes sanglots. Comment j'ai pu croire que ce serait aussi facile ? Je n'ai jamais réussis à contrôler mes émotions. Que je sois énervée ou triste, c'est toujours au maximum de mes capacités, il n'y a pas de juste milieu. Jamais.
Je sens à nouveau la main de Timothée se poser sur mon épaule, et je n'ai toujours pas envie qu'elle soit là. J'ai pas envie qu'il soit là. Je veux pas qu'il reste là à côté de moi comme-ci il allait pouvoir me réconforter alors que personne ne peut le faire. Personne à part Tom.
- Hey... it's alright... it's alright.
J'écarte mes mains de mon visage pour le foudroyer du regard, incapable de retenir ma colère.
- Non c'est pas bon, putain !
Il retire doucement sa main de mon épaule, totalement décontenancé de me voir hurler sur lui comme ça.
- Et ce ne le sera pas tant que je serais ici ! Alors arrête de jouer les sauveteurs et casse toi !
Son regard se fronce une seconde, et je culpabilise aussitôt de l'avoir blessé. C'est tout moi ça. Je blesse les gens et après je m'en veux. Plus stupide tu meurs.
Je plonge ma tête dans mes bras en espérant que le temps s'arrête une bonne fois pour toute. Mais il me suffirait de sauter dans la Seine pour ça. Sauf si Monsieur Timothée décide de jouer les héros. Le seul héro dont j'ai besoin là maintenant c'est Tom. Personne d'autre. Et il a fini par me laisser tomber lui aussi. Parce que je suis trop conne pour avoir accepté son aide. Il m'a jeté aussi violemment que Benjamin l'avait fait, à croire que c'est moi qui l'ai rendu comme ça. C'est peut-être le cas finalement. Je suis incapable de garder les gens que j'aime auprès de moi. Ils finissent toujours par me laisser tomber. Je suis vraiment indispensable pour personne. J'ai une mauvaise influence sur tous ceux que je croise. Et ils finissent tous par me blesser autant que je le mérite. Je suis tellement inutile à ce monde putain.
Je sens quelque chose se coller à mon épaule droite, mais je refuse de lever la tête. J'ai pas envie de sortir du trou noir dans lequel je viens de me cacher. C'est tout moi ça. Je préfère me cacher plutôt que d'affronter mes problèmes. Parce que je ne suis pas assez forte pour ça. Et quand quelqu'un me tend la main je le repousse, parce que je suis trop conne pour accepter que j'ai besoin d'aide. Je me déprime, vraiment.
La source de chaleur collée à mon épaule n'a pas bougé, et je suis forcée de lever la tête pour savoir de quoi il s'agit. Mon regard tombe sur Timothée qui s'est assis à côté de moi, les bras croisés sur ses genoux, attendant patiemment je ne sais quoi. Il tourne la tête vers moi, et lorsque je croise ses yeux si particuliers, je me rends compte que je suis en train de faire exactement ce que j'ai fait avec Tom. Je refuse son aide. Encore. Parce que je refuse d'être sauvée cette fois. Je le dévisage en silence pendant de longues secondes, rien à foutre du malaise que ça peut provoquer. J'en ai plus rien à foutre de tout de toute façon.
J'observe son visage sans m'attarder sur les détails, parce que je m'en fou des détails. Je ne comprends juste pas ce qu'il fou là à côté de moi. Et ses yeux bleus aux reflets verts ne me quittent pas, et c'est super énervant. Honnêtement, là dans la seconde, il m'énerve. Avec son air de petit ange scotché sur la tronche et la bienveillance au fond de ses yeux. Il m'énerve putain !
- Pourquoi est-ce que tu ne pars pas ?
- Pourquoi est-ce que je partirais ?
Son manque d'hésitation m'agace davantage, et je préfère détourner les yeux plutôt que de le regarder encore une seconde de plus. Je n'ai pas envie de le frapper pour si peu.
- Peut-être parce que c'est ce que tout le monde fait.
J'observe les passants qui nous dévisagent curieusement. Eux aussi ils m'énervent.
- C'est ce que Tom a fait ?
Ma mâchoire se serre sans que je ne puisse la contrôler. Rien qu'entendre son prénom ça me blesse.
- C'est moi qui suis partit.
- Parce qu'il te l'a demandé ?
Je repose les yeux sur lui avec un regard noir qui ne m'a quitté depuis que j'ai atterrit ici.
- Putain mais c'est quoi ton problème ? Pourquoi tu restes là ? T'attend quoi au juste ? Que je couche avec toi maintenant que Tom a le dos tourné ?
Son regard s'agrandit comme-ci il venait de se prendre une gifle, et il baisse immédiatement les yeux avec un sourire nerveux.
- Oh no, that's not... no...
Il secoue la tête en relevant les yeux pour me frapper de son regard toujours aussi angélique. C'est super agaçant putain ! On dirait qu'il est innocent tout le temps. Qu'il est incapable de penser à l'éventualité de coucher avec moi, ou même de coucher avec qui que ce soit.
- J'ai pas envie de coucher avec toi, je veux juste... je veux juste t'aider.
- Ouais bah j'ai pas besoin d'aide.
Je repose les yeux devant moi en réprimant mon envie d'hurler.
- Et est-ce que t'as besoin que je couche avec toi ?
What the fuck ?
Je le foudroie immédiatement du regard, lorsqu'il lève les mains pour se défendre.
- Alright, alright ! C'était pour rire ! Je promets !
Pour rire ? Parce que ça a l'air d'être amusant ?
- Sorry... mon sens de l'humour est vraiment très nul.
- Ça j'avais remarqué.
Il incline la tête comme pour s'excuser, et le petit sourire qui étire ses lèvres fait redescendre la pression au creux de ma poitrine.
- Désolé... je vois juste que tu vas pas bien et j'essaie de détendre l'atmosphère.
Ses jolis yeux plongent à nouveau dans les miens, et je dois avouer qu'ils sont vraiment très beaux.
- En me proposant de coucher avec toi ?
Un sourire nerveux apparaît sur son visage tandis qu'il tourne la tête, certainement trop gêné pour soutenir mon regard.
- Alright... c'était nul je sais. Et puis... Tom me tuerait si ça arrivait.
Ouais, ça j'en suis moins sûr maintenant.
- Je pense qu'il n'en a plus rien à foutre si tu veux mon avis.
Je repose les yeux sur les passants devant nous. J'entends encore sa dernière phrase résonner dans ma tête. You can fucking die alone I don't give a shit anymore !
Je le revois encore en train de me hurler dessus, comme-ci j'y étais. Et je peux sentir mon cœur se briser encore une fois. Je n'aurais jamais pensé qu'il soit capable de me faire autant de mal. Pas lui. Pas avec tout l'amour que je ressens pour lui. C'était tellement inattendue que ça m'a fracassé de tous les côtés.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
La voix de Timothée me sort de mes souvenirs. Cette question revient sans cesse depuis que je suis ici. Et je ne l'ai dit à personne. Pas même à Emily. Et je ne sais pas comment il fait, mais ça semble facile de pouvoir lui parler. Comme la première fois où je lui ai dit pour Benjamin. C'est vraiment chelou, mais j'ai l'impression que je n'ai pas cette peur de partager ma douleur avec lui, parce que c'est comme-ci il la comprenait déjà. Il a cette empathie naturelle qui le rend d'autant plus agaçant.
- Je lui ai dit. Pour ce dont on a parlé au restaurant.
Je sens une boule anxieuse se former au creux de ma gorge, comme-ci mon cerveau ne voulait pas que je parle. Comme-ci il ne voulait pas que j'évacue ce que je ressens.
- Je lui ai dit, et il a voulu m'aider. Il a cru bien faire, et...
Je sens les larmes me monter aux yeux encore une fois. Et j'en ai marre de pleurer. J'en peux plus, vous comprenez ?
- Et il l'a dit à mon père. Il l'a dit à mon père.
J'avale difficilement ma salive en repensant à notre dispute.
- On s'est engueulé et... il m'a dit que je pouvais crever toute seule maintenant, qu'il n'en avait plus rien à foutre.
J'efface la larme solitaire qui se fraye un chemin sur ma joue droite, lorsque je sens quelque chose glisser le long de mon dos. Je pose brusquement les yeux sur Timothée en comprenant qu'il s'agit de sa main.
- Je suis sûr qu'il ne le pensait pas.
Sa main glisse le long de mon dos, et malgré mon bombers qui me protège du froid, je la sens parfaitement bien. Trop bien même. Pourquoi il a toujours le réflexe de poser les mains sur moi ? C'est vraiment désagréable putain. On dirait qu'il se comporte comme-ci on était amis depuis des années. Alors qu'on n'est même pas amis du tout merde.
- Ça t'en sais rien. Tu ne peux pas savoir ce qu'il ressent.
Il retire sa main de mon dos en secouant la tête.
- No, you're right. Mais je me mets à sa place, et si j'étais amoureux de toi...
Il arrête sa phrase au pire moment possible, et la pression dans ma poitrine revient lorsqu'il croise mon regard.
- Je n'aurais jamais pensé ça. Je l'aurais dit par colère, mais je ne l'aurais pas pensé... you know what I mean ?
Ses yeux sont trop déstabilisants pour moi, et franchement j'ai du mal à soutenir son regard. J'ai vraiment le sentiment que je ne devrais pas être là. Pas en train de parler avec lui.
- Qu'il le pense ou pas, ça m'a fait mal. Et je n'arrive pas à m'en remettre.
Je le vois du coin de l'œil se frotter les mains, et je dois avouer que le froid est en train de me consumer moi aussi.
- J'ai pas l'intention de te raconter des conneries en disant que ça va bien se passer, parce que c'est pas le cas.
Je le frappe de mon regard dépressif, surprise qu'il ose dire ça. C'est bien le premier qui me dit la vérité. Tout le monde n'a pas arrêté de me dire que ça allait passer, qu'il suffisait d'attendre un peu et qu'il reviendrait vers moi. Mais je n'y crois pas une seule seconde. Et il y enfin quelqu'un qui ose dire la même chose que moi.
- Je suis désolé, Elena, vraiment. Je suis désolé de ce qu'il t'arrive, mais si tu attends désespérément que quelqu'un vienne te sauver, tu ne t'en sortiras pas.
Waouh... j'avoue que ça me blesse un peu ce qu'il dit. Ça me fou la trouille. Et ça parce que depuis que j'ai rencontré Tom je me repose constamment sur lui pour me sortir de la merde. Mais là je ne peux plus compter sur lui. Et il me l'a dit de vive voix.
- Je pense... que tu dois te sauver toute seule. Tu dois être ton propre héro. Parce que... plus tu attends que les autres te sauve et moins tu seras forte... tu comprends ce que je dis ?
J'acquiesce doucement sans même m'en rendre compte. Putain ce qu'il a raison. Et putain je suis pas près de m'en sortir. Je le délaisse enfin du regard, prenant conscience que je le dévisage depuis trop longtemps maintenant. Tellement que j'ai remarqué qu'il a des tâches de rousseurs lui aussi. Alors qu'il n'est absolument pas roux. Et c'est perturbant.
- Pourquoi tu restes là si tu n'as pas l'intention de me sauver ?
Je lui jette un bref regard pour le voir sourire en baissant la tête.
- Je n'ai pas dit que tu n'avais pas besoin d'aide. Et je n'ai pas dit que je ne voulais pas t'aider.
Il relève la tête vers moi et je détourne vite le regard pour ne pas croiser ses yeux déstabilisants.
- Je suis nulle pour recevoir de l'aide.
- Yeah, I've already noticed that.
J'esquisse un léger sourire malgré moi. Tellement léger qu'il n'a même pas dû le remarquer.
- So... qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
J'hausse les épaules, n'ayant aucune réponse à lui donner.
- Tu n'as pas faim ? On n'est pas forcé d'aller dans le restaurant où mon date canceled, but... on peut aller autre part si tu veux.
Je secoue la tête en reposant les yeux sur lui. Le pauvre il a l'air plus frigorifié que moi. À tel point que ses lèvres trembles.
- Tu peux aller manger si tu veux, moi j'ai juste envie d'aller m'allonger quelque part et de ne plus bouger jusqu'à ce que ça s'arrête.
Ses sourcils se fronces, et il n'a pas le temps de me demander de quoi je parle que quelqu'un nous interpelle.
- Excusez-moi !
On relève tous les deux la tête vers une brunette beaucoup plus jeune que nous qui attend avec un sourire nerveux aux lèvres.
- Timothée Chalamet ?
Oh non... pas ça. Je pose les yeux sur la star à côté de moi qui acquiesce avec un sourire radieux.
- Oui, c'est moi.
- Oh mon Dieu ! Est-ce qu'on peut prendre une photo s'te plaît ? Mes potes et moi on t'aime trop.
- Oh... yeah, sure.
Il se hisse sur ses pieds au moment où une bande de quatre filles se ramène pour se planter devant moi. Mais quand je dis devant moi, c'est-à-dire qu'il y en a même une qui me marche sur les pieds. Je suis si invisible que ça sérieusement ?
- Hey, attention s'il vous plaît.
Je lève les yeux vers Timothée qui écarte les filles de mon champ de vision, avant de me tendre sa main. Waouh... il est vraiment gentil lui aussi. Comment ça se fait que je n'ai pas rencontré des gars aussi gentils avant de tomber sur Benjamin ? Putain j'avais perdu foi en l'humanité avec lui, je vous jure. Je glisse ma main dans la sienne, et ses doigts sont glacés. J'avais oublié qu'il est tout le contraire de Tom. Que ses yeux sont bleus, que ses mains sont gelées et que ses muscles ont pris la fuite il y a un moment déjà.
- Ça va ?
J'acquiesce en le laissant reprendre le cours de ses photos, mais le malaise qui m'a envahi est perceptible à des kilomètres. Et ça ne fait qu'accentuer cette impression que j'ai de ne pas être à ma place avec lui. J'ai vraiment la sensation qu'il m'empêche d'aller mourir en paix. Comme-ci j'étais retenue au-dessus du vide. C'est vraiment désagréable, parce que j'ai l'impression qu'il ralentit ma chute. Mais moi tout ce que je veux c'est tomber en paix putain. Je sais que j'ai l'air complètement folle et que rien de ce que je dis n'est compréhensible, mais j'ai vraiment l'impression que ce type est un obstacle. Mais je ne saurais dire si c'est un obstacle entre Tom et moi ou entre mon besoin d'arrêter de respirer et la vie qui m'attend si j'arrive à me remettre de tout ça. J'en sais rien en fait. Je suis incapable de mettre des mots clairs et précis sur ce que je ressens, mais... j'ai cette mauvaise impression qu'il est la définition même de "c'est une mauvaise idée".
La question maintenant c'est... est-ce que j'ai envie de prendre les bonnes décisions ? D'emprunter le bon chemin ? Ou est-ce que je ne me laisserais pas juste aller à faire les mauvais choix jusqu'à ce que ça m'emporte loin de cette vie de merde ?  

Unexpected [FR/EN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant