Chapitre 71

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- It's your birthday ?
Je lève les yeux de la feuille de papier que j'ai dans les mains et qui tremble depuis au moins cinq minutes. Ça fait dix fois que je relis cette lettre. Dix fois, et ça me retourne encore l'estomac. Mon regard noyé de larmes tombe sur Timothée qui me dévisage avec inquiétude.
- Ouais... c'est mon anniversaire.
Ma voix tremble aussi. Comme-ci j'étais triste que ce soit mon anniversaire. C'est un peu le cas après tout. Je suis triste parce que je pensais le passer avec Tom. Mais au lieu de ça, je suis à Paris, sans lui, et j'ai cette lettre dans les mains qui me hurle de courir le rejoindre. De tout laisser en plan et de monter dans le premier avion qui rejoins les États-Unis. Mais je n'ai toujours pas bougé pourtant. Je suis toujours assise sur ce canapé, avec cette lettre dans les mains. Je baisse de nouveau les yeux vers le bout de papier où l'écriture de Tom me donne envie de pleurer à nouveau. Je vais vraiment finir déshydratée à force de pleurer comme ça. Je n'en reviens pas qu'il ait pensé à moi.
- Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
J'hausse les épaules en posant les yeux sur le carton posé sur la table. Je pose la lettre à côté pour en sortir le plus gros des deux cadeaux que je suppose être le téléphone.
- Est-ce que... je peux lire ?
Je jette un œil à Tim dont j'ai carrément oublié l'existence avec tout ça. J'acquiesce rapidement et le laisse prendre la lettre tandis que je m'attarde à ouvrir mon premier cadeau. En effet, c'est un téléphone. Un IPhone rouge. Ce n'est pas tellement la couleur qui me dérange mais plutôt le fait que ce soit un IPhone. Je n'ai jamais eu d'IPhone. Je ne sais même pas si je serais capable de l'utiliser.
- Waouh.
Je lève les yeux vers Timothée qui a les yeux écarquillés toujours rivés sur la lettre.
- He's really in love.
Ouais... j'avais cru le comprendre aussi. Et je n'aurais jamais pensé qu'il oserait faire un pas vers moi alors que c'est lui qui m'a dit de partir. Il s'est excusait, et il a dit qu'il m'aimait. Qu'est-ce qu'il me faut de plus exactement ? Qu'est-ce que j'attends pour lever mon cul de ce canapé et foncer à l'aéroport ? Putain si je n'y vais pas maintenant, il n'y aucune chance que la situation s'arrange. C'est ma dernière chance putain.
Je délaisse le téléphone et cours jusqu'à la chambre que j'ai squattée pendant trop longtemps, laissant le pauvre Timothée tout seul dans le salon. J'attrape un sac et y balance quelques affaires, juste de quoi tenir une journée. De toute façon je n'ai pas besoin de préparer une valise, et puis j'ai pas le temps pour ça. Tout ce dont j'ai besoin c'est de prendre l'avion au plus vite, peu importe que j'ai des fringues de rechanges ou pas. Tant que je le retrouve, tant que je retrouve l'homme que j'aime, rien de ce dont je crois avoir besoin là-bas ne me sera utile, parce qu'il est la seule chose dont j'ai réellement besoin, et ça partout où je suis. Au moment où je m'apprêtais à quitter la chambre pour rejoindre la salle de bain, la silhouette de Timothée dans le chambranle de la porte me stoppe dans ma lancée.
- What are you doing ?
Il pose les yeux sur le sac dans mes mains, et les relèvent vers mon visage, sourcils froncés.
- Je... je vais partir.
Je passe près de lui pour rejoindre la salle de bain où je balance quelques trucs dans le sac, retrouvant à nouveau Timothée dans le chambranle de la porte qui me dévisage sans comprendre. Le pauvre il a vraiment le mauvais rôle. Il est venu pour m'aider, et je m'apprête à le laisser en plan pour aller retrouver Tom. Parce qu'il faut que j'y retourne. Il faut que je le retrouve, vous comprenez ? J'en ai besoin, je le sens au fond de moi. Cet enfer n'a que trop duré. Mon corps est sur le point de s'éteindre si je reste une journée de plus sans lui. Je le sais. Je le sens.
- Quoi ? Mais où ?
- À Cleveland. Il faut que je retrouve Tom, je peux pas... je peux pas rester ici après ce qu'il m'a écrit.
- Quoi ? Mais...
L'incompréhension dans son regard commence à m'angoisser. J'ai l'impression qu'il n'a pas envie que je parte. Et putain si c'est parce qu'Emily a raison alors ça m'emmerde vraiment beaucoup.
- Wait... tu ne peux pas partir maintenant.
Mon cœur rate un battement, et je recule sans même m'en rendre compte. Il dérive les yeux quelques secondes, mâchoire serrée, avant de les reposer sur moi. Putain pour vu qu'il ne me dise pas qu'il m'aime. Je vous en prie, il peut me dire tout ce qu'il veut, mais pas qu'il m'aime. Pas maintenant. Jamais en fait.
Mais étonnement il ne dit rien de plus. Ce qui est d'autant plus angoissant, et ça me coupe dans mon enthousiasme débordant de courir jusqu'à l'aéroport.
- Pourquoi ? T'as pas envie que je parte, c'est ça ?
Il secoue la tête sans hésiter, et je sens mon estomac se nouer. Putain ne dit pas que tu m'aime, je t'en supplie.
- Not really. I mean... peut-être que tu devrais l'appeler avant, don't you think ?
Ouf... enfin presque ouf, parce que j'ai le sentiment que dans son regard il n'était pas loin de m'annoncer qu'il ne pouvait plus se passer de moi. Et je ne suis définitivement pas prête pour entendre ça. Pas de sa bouche en tout cas. Je veux dire... je l'aime bien, il est très sympa, mais à chaque minute que je passe avec lui j'ai l'impression qu'il essaie de me faire tomber amoureuse. Enfin, ça paraît dingue, mais j'ai l'impression que quelque chose au fond de lui essai de changer mes sentiments pour Tom. Comme-ci une force invisible voulait me contraindre à oublier le British que j'aime le plus sur cette planète pour lui. Pour Timothée.
- Heu... ouais, t'as raison.
Je quitte la salle de bain en laissant mon sac tomber près du canapé. OK, ce n'est pas une si mauvaise idée que ça de l'appeler avant. Même si j'ai extrêmement envie de lui faire la surprise, je n'ai aucune certitude qu'il est prêt à me revoir. Peut-être qu'il a besoin de plus de temps. Peut-être... peut-être que cette lettre n'est là que pour me rappeler qu'il m'aime, mais qu'il n'a pas envie de me revoir tout de suite. Après tout, il ne m'a pas écrit de le rejoindre. Il ne m'a pas supplié de revenir. Il a juste dit qu'il était désolé, et qu'il m'aimait, c'est tout. À aucun moment il ne m'a dit qu'il avait besoin de me revoir, autant que moi j'en ai besoin. Alors peut-être que... peut-être qu'il veut attendre encore un peu. Il vaut mieux que je l'appel pour savoir. Je ne risque rien après tout. Ce n'est pas comme-ci il n'avait pas fait un pas vers moi et que j'appelais à l'aveugle. Non, il doit bien s'attendre à ce que je fasse un pas vers lui moi aussi. Pas vrai ?
Une fois ma foutue carte Sim mise dans ce nouveau téléphone dont je ne comprends même l'écran d'accueil, j'ai tout de même reconnu le logo Instagram et j'ai enfin pu y retourner, après plus de trois semaines sans y avoir jeter un oeil. J'ai toujours eu peur de tomber sur une photo de lui et de m'effondrer en sanglots. C'est tellement plus simple de ne pas le voir, je veux dire... c'est douloureux bien sûr, mais la douleur est moindre si je n'ai pas son visage sous les yeux, vous comprenez ? Ça empêche le chagrin de prendre de l'ampleur en observant les détails de ce visage que je n'ai plus le droit de toucher.
Je prends une profonde inspiration et dès lors que mon doigt appuie sur la petite caméra dans notre conversation Instagram pour lancer l'appel, mon cœur s'arrête. Et c'est douloureux pour tout vous dire. L'écran se scinde en deux, et celui du bas est noir, dans l'attente d'une réponse de Tom. Mon ventre se soulève sous le coup de l'adrénaline et je peux même sentir un courant électrique passer dans mes veines, de mes épaules à mes poignets, tandis que mes mains sont déjà en train de trembler. Lorsque Tom décroche, l'écran noir disparaît et une faible lumière me laisse apercevoir les contours d'un visage. La silhouette d'une tête ronde, faiblement éclairée par une lumière qui semble accrochée au mur d'une maison. Le silence est de mise, et de toute façon je suis incapable de prononcer quoi que ce soit. La silhouette bouge brusquement, et l'angle de vue me laisse penser qu'elle s'est redressée, comme-ci il était allongé quelques seconde avant. La lumière derrière lui est toujours accrochée au mur, mais des reflets bleus me laisse enfin entrevoir son visage. Ou du moins une partie. J'aperçois tout juste sa bouche et son œil gauche. Cet œil dont le sourcil déviant est froncé. Comme-ci il ne s'attendait pas à recevoir un appel de ma part.
- Elena ?
Ses lèvres ont bougé, et lorsque le son de sa voix prononçant mon prénom arrive jusqu'à mes oreilles, une violente décharge passe dans mon corps tout entier, de ma tête jusqu'à mes orteils. Ça fait si longtemps que je ne l'ai pas entendu prononcer mon prénom. Et qu'est-ce que ça m'a manqué. C'est comme... une formule magique capable de réanimer mon cœur. Comme le baiser d'un prince charmant sur une princesse endormie depuis des siècles.
- Why the fuck are you calling me ?
Mon souffle se coupe, et j'ai l'impression qu'un étau est venu s'accrocher à ma gorge, resserrant doucement son emprise pour m'empêcher de respirer. Le ton de sa voix avait l'air si énervé. Pourquoi... pourquoi est-ce qu'il est énervé que je l'appel ?
- I... I received your package.
Ma voix est frêle, tremblante. Et en un quart de seconde j'ai perdu tout l'enthousiasme que j'avais à la simple pensée de le retrouver à Cleveland.
- For my birthday.
Il se redresse un peu plus, et son visage apparaît entièrement cette fois-ci, sous la lumière bleue qui se reflète sur sa peau. Mon Dieu ce qu'il a l'air fatigué. Malade. Malgré le peu de lumière qui me laisse entrevoir son visage, la gravité qui le ternie est reconnaissable même dans le noir. Il n'a pas l'air bien du tout. Autant que moi du moins. J'aperçois dans le coin de l'écran un point blanc lumineux et fait vite le rapprochement avec la lune. Il est dehors, et il fait nuit. Et dans ma tête tout se remet en place. La lumière bleue provient de la piscine, et celle accrochée au mur de la maison où il loge à Cleveland. Il est dehors, au bord de la piscine, comme la fois où je l'ai retrouvé allongé sur l'un des transat en train de regarder silencieusement les étoiles. Mais attendez... quelle heure il est là-bas exactement ?
- My package ? For your birthday ?
Sa voix est agacée, c'est certain maintenant. Et on dirait qu'il ne comprend même pas de quoi je parle. Pourtant c'est bien son écriture qu'il y a sur cette lettre. Sur la liasse d'envoi aussi. Comment c'est possible qu'il ne sache pas de quoi je parle ?
- You... you sent me a package... for my birthday. Did you... did you forget it's my birthday today ?
Ses sourcils se fronces d'avantage et la colère que prend ses traits m'arrache un battement de cœur raté.
- What ? Of course no, I didn't forget it's your birthday ! Why do you think I'm drinking at four o'clock in the morning all by myself like an asshole ?
L'étaux autour de ma gorge se resserre. Et je suis incapable de répondre. Je n'arrive même plus à respirer. Est-ce que... est-ce qu'il est entrain de dire qu'il boit parce que c'est mon anniversaire ? Ça ne colle tellement pas avec ce qu'il a écrit dans sa lettre. Putain mais... il lui arrive quoi là ? Je comprends rien.
- But why the fuck are you calling me ? I didn't send you this package, OK ? I wanted to do it but I saw you in a picture again with that son of a bitch Timothée !
Oh my God... J'ai la violente impression de m'être prit un mur en pleine tronche. Tellement que je sens mes doigts trembler davantage, comme-ci ils étaient prêts à laisser tomber ce téléphone qu'il m'a acheté. Non... c'est pas possible, il y a forcément une erreur. Je suis en train de rêver putain, c'est pas possible.
Je n'arrive pas à détacher mon regard de ce téléphone où sur l'écran Tom se lève et passe sous la lumière accrochée à la maison, me laissant apercevoir son visage bien plus nettement. Et c'est terrifiant. Ses yeux sont si petits et ses joues si creuses que j'ai l'impression que ce n'est pas lui. Que c'est un autre homme que celui dont je suis tombée amoureuse.
- Mais, je... I received the package... with the letter you wrote.
Il s'arrête au bord de la piscine, laissant la lumière bleue éclairer à nouveau son visage.
- What ?
Je me sens m'enfoncer un peu plus dans le canapé en cuir de mon père, comme-ci le poids de ses mots, de la colère dans sa voix était en train d'appuyer sur mes épaules pour me faire disparaître entre les coussins.
- How do you know about the letter ?
OK, là je ne comprends vraiment rien. Je comprends pas ce qu'il se passe putain. J'ai l'impression d'être tombée un trou noir et d'être apparue dans une autre dimension.
- You sent it to me.
Ma voix est tellement délaissée de toute confiance qu'on dirait une enfant de quatre ans qui est sur le point de pleurer. Alors ouais, je suis sur le point de pleurer, je sens d'ailleurs déjà les larmes brûler mes yeux, mais je n'ai pas quatre ans putain !
- I'm fucking telling you I didn't send you that fucking package !
Un nouveau coup violent vient frapper ma poitrine, s'attaquant directement à mon cœur. Comme-ci il venait de le frapper lui-même d'un coup de poing. Je comprends pas...
- I didn't send it to you because you don't fucking deserve it !
OK, cette fois c'est plus un coup de poing mais un coup de poignard qui frappe mon coeur de plein fouet, et je peux d'ores et déjà le sentir saigner dans ma poitrine, imprégnant mes poumons de sang dans un premier temps. Et le souffle me manque. Je sens les larmes s'échapper de mes yeux et rouler sur mes joues comme-ci elles voulaient s'échapper de mon corps. De ce corps qui est en train de mourir de chagrin. De douleur.
- You really thought I wouldn't find out ? That I wouldn't know you were cheating on me with that son of a bitch ?
Non... non, non, non, pas ce mot-là, je vous en prie. Je ne l'ai jamais trompé putain. Jamais de la vie je ferais ça.
- You fucking cheated on me ! You've been using me all along, haven't you ?
Son hurlement me frappe si fort que je sens mes épaules se rétracter sur elles-mêmes. J'avais presque oublié à quel point ses hurlements peuvent me blesser. À quel point ils m'ont blessé.
- I told you to leave but it didn't give you the right to go with him !
Sa voix se brise à la fin de sa phrase, et je n'arrive même pas à ouvrir la bouche. Je n'arrive pas à parler. C'est comme-ci j'avais perdu tous les mots que je connaissais.
- I fucking love you, Elena ! I love you and you're cheating on me ! You're fucking killing me !
Mon cœur est éventré. Il est en train de se vider de son sang dans tout mon corps maintenant, et je n'arrive même plus à sentir ses battements. Comme-ci il s'était déjà arrêté. Comme-ci il était déjà mort. Et pourtant je suis toujours là, assise dans ce canapé, les yeux rivés sur cet écran où l'homme que j'aime me hurle que je suis en train de le tuer. Moi, je suis en train de le tuer. Comment... comment je peux être en train de le tuer alors que je suis déjà morte moi aussi ?
- I'm fucking dying, do you understand that ?
Malgré la faible lumière qui reflète son visage, j'aperçois très nettement ses larmes. Comme-ci cette putain de lumière bleu était en train de se refléter dedans, comme pour me montrer ce que je suis en train de faire. L'impact que j'ai sur cet homme.
- So don't tell me about that fucking letter I wrote for you ! Because nothing written in it is true anymore !
L'étaux autour de ma gorge est réellement entrain de m'étouffer, et je suis à deux doigts de m'évanouir par manque d'oxygène là.
- No words I've written for you in this stupid letter make sense now.
Il a arrêté de crier. Pourquoi est-ce qu'il ne crie plus ? J'ai l'impression que c'est pire. J'ai l'impression que cette fois, il pense chaque mot qu'il est en train de me dire. Comme-ci le fait qu'il ne hurle plus me prouve qu'il n'est plus sous l'effet de la colère, mais conscient de ce qu'il ressent, et de ce qu'il pense.
- I'm not fucking sorry anymore, and I never want to see your face again. Never again in my fucking life, can you hear me ? I never want to love you again, Elena. I want that love to go away and take you with it. Because it's killing me... and you're not even worth dying for.
Son visage disparaît en une seconde de l'écran, et l'appel se coupe. Mes doigts trembles et l'un d'eux verrouille le téléphone, me laissant face à mon propre reflet sur l'écran éteint. Et ce reflet est pitoyable. Je n'ai même pas le courage de l'affronter plus de deux secondes, et délaisse lentement le téléphone à côté de moi sur le canapé. J'ai l'impression que le temps s'est arrêté. Qu'il n'y a plus rien qui m'entoure. Que je me retrouve seule avec le silence de la douleur qui est en train de se propager dans tout mon corps. J'entends même les battements de mon codeur frapper lentement dans ma poitrine. Même lui il paraît être au ralentit. Sur le point de s'arrêter.
C'est la froideur d'une main qui se pose sur mon bras qui me sort de cette faille temporelle où le temps paraissait avoir disparu. J'arrive à peine à entendre le son de la voix de Timothée. Je pose juste les yeux sur lui, et c'est comme-ci même ça je n'y arrivais plus. Comme-ci je ne pouvais même plus voir devant moi. Je sais qu'il est là, sous mes yeux, je le vois, ou du moins je l'aperçois. Il semble flou et je suppose que c'est à cause de mes larmes, j'en sais rien. Mais je suis incapable de voir les détails de son visage. C'est comme-ci je n'étais plus là. Plus dans la même dimension que lui du moins. J'ai l'impression que la réalité dans laquelle je me trouvais vient de se casser en deux, et que maintenant je suis toute seule de mon côté. Comme les deux faces d'un miroir. J'ai l'impression d'être dans une réalité qui n'existe même pas, comme-ci j'avais disparue de mon corps et que je pouvais seulement en sentir l'intérieur, mais ne pas sentir ce qui se passe autour. Je suis sûr que vous ne voyez pas de quoi je parle, parce que ça semble vraiment dingue en fait. J'ai juste l'impression d'être derrière un miroir, l'autre côté c'est la réalité, tout se déroule normalement, Timothée est en train de parler, mais je ne l'entends pas. Je suis seulement capable de voir ses lèvres bouger, comme-ci j'étais coincée dans mon corps. Coincée au milieu de cette douleur. C'est comme-ci elle m'avait envahie, vous comprenez ?
- Aide moi...
Les mots sortent tout seuls de ma bouche, sans que je n'aie le temps de comprendre qu'ils viennent de moi.
- Arrête la douleur... je t'en prie...
Je sens les larmes couler sur mes joues, leur chaleur commence à me faire sortir de ce cocon dans lequel j'étais bloquée pendant ces quelques minutes. Mes joues me brûlent et c'est parce qu'elles sont noyées par les larmes dont le sel qui les composes est en train de s'attaquer à la peau de mon visage. J'entends à peine mes sanglots, ou du moins je les entends, mais de loin. C'est comme-ci je les entendais de l'intérieur. De l'intérieur de ma tête.
Les mains gelées de Timothée attrapent mes joues et je le vois encore parler sans entendre un seul mot. En revanche cette fois je distingue clairement ses yeux. Ses prunelles bleues qui me renvoie le reflet dévasté de moi-même.
Et là... en une putain de seconde, je ne saurais vous dire pourquoi, il colle ses lèvres aux miennes, et je ne l'ai même pas vu venir. Je ne l'ai pas vu approcher son visage. J'ai juste senti sa bouche entrer en contact avec la mienne, et me reconnecter à la réalité en une micro seconde. J'ai repris place dans mon corps, et je n'ai pas attendu plus longtemps pour reprend possession de mes mouvements. Je ne me vois même pas le repousser, je sens juste sa bouche se décoller de la mienne et mes jambes se tendres lorsque je me lève du canapé. Et maintenant que j'ai pris de la distance, ma vision est redevenue nette. Je peux clairement voir son visage se décomposer, et je mets quelques secondes avant de comprendre que c'est parce que je suis en train de hurler.
- Tu n'attendais que ça, avoue-le !
Il se lève du canapé et s'approche, les mains levées vers moi comme pour essayer de me calmer. Mais rien ne pourrait calmer cette douleur qui est en train de me consumer.
- Non putain, ne t'approche pas de moi !
Je recule pour mettre de la distance entre lui et moi.
- I'm sorry, Elena, I just...
- Ne t'avise plus jamais de poser les mains sur moi, est-ce que c'est clair ? Je veux même plus croiser ton regard putain ! Casse toi maintenant ! Barre toi putain !
Mais il ne m'écoute pas, et il avance encore. Je lui tourne le dos et fonce vers ma seule échappatoire. La porte de la salle de bain. Une fois verrouillée, le silence de la pièce m'envahit. Je n'entends même pas Timothée essayer de s'excuser encore une fois. Non, il n'y a que le silence. Un silence froid. Un silence de mort. Je reste plantée au milieu de la salle de bain pendant de longues secondes, les yeux rivés sur la porte, lorsque le claquement de la porte d'entrée m'arrache un sursaut. Il est parti ? Putain je crois qu'il est parti.
Je sens mes jambes succomber sous mon poids et je me rattrape au lavabo pour ne pas tomber au sol. Mon regard croise mon reflet dans le miroir, et ce qu'il renvoie est terrifiant. J'ai l'impression que ce n'est pas moi. Que c'est juste le reflet de ma douleur. Comme-ci elle avait complètement pris possession de moi maintenant. Et les larmes sur mes joues sont trop dur à regarder. J'attrape la première chose que j'ai sous la main et la seconde d'après le miroir vole en éclat. Des morceaux tombent dans le lavabo et j'entends un hurlement dévasté s'échapper de mes lèvres. Je sens mon corps tomber au sol cette fois, au milieu des débris du miroir, et l'un d'eux me renvoie encore mon reflet. Le reflet de cette douleur, comme-ci il voulait me montrer qu'elle ne disparaîtra pas sans moi. Que tant que je serais là, elle sera là, partout où je vais. À chaque seconde de ma putain de vie elle sera là.
J'ai à peine le temps de comprendre ce qu'il se passe que le morceau de verre se retrouve au creux de ma main droite et que le sang qui coule dessus cache lentement le reflet qu'il renvoie. Mes doigts trembles, et ma vue se brouille. Un vertige me surprend, mon premier réflex est de m'accrocher à la baignoire derrière moi, mais ma main gauche glisse et je m'effondre au sol. Ma tête heurte le carrelage de la salle de bain, et la fraicheur qu'il propage sur mes épaules nues me ramène immédiatement à la réalité. Pendant une seconde, une seule foutue seconde, j'ai l'impression d'être retournée dans cette salle de bain où Benjamin m'a violé. La fraicheur du carrelage est la même. À l'exception qu'il n'y a personne avec moi dans cette salle de bain. Je suis toute seule, et la chaleur du corps de Benjamin est remplacée par celle de mon propre sang. Le morceau de verre est encore dans ma main droite, parce que je suis incapable de desserrer mes doigts des bords qui coupent ma peau, comme-ci j'enlacée la douleur pour l'étouffer à mon tour. Mais ce qui retient mon attention c'est j'ai l'impression de sentir la chaleur de mon sang sur mon bras gauche.
C'est étrange. J'ai l'impression que le temps s'est ralentit à nouveau. Mais c'est fois-ci c'est comme-ci il n'allait pas repartir. Comme-ci il était vraiment sur le point de s'arrêter. Je sens mon cœur battre dans mes tempes, et le silence de la salle de bain est bruyant. Comment le silence peut être bruyant vous me direz ? Et bien parce que la douleur est toujours là. Elle est là, dans cette salle de bain, dans mon corps et elle hurle. Elle hurle sans s'arrêter. C'est comme un bourdonnement au creux de mes oreilles. Je tourne la tête pour essayer de m'en défaire, de lui échapper, et mon regard tombe sur mon bras gauche. Waouh... je n'ai jamais vu autant de sang de toute ma vie. C'est donc de là que la chaleur provient ? Je sens mes lèvres sourire sans que je ne puisse les contrôler. Comme-ci mon cerveau venait de prendre conscience que c'est la fin. Que la douleur est entrain de partir.
Je ferme les paupières, et la paix m'envahit enfin. Ce qui est étonnant c'est que dans le noir de mes paupières, j'aperçois un visage. Un sourire rayonnant. C'est le visage de la vie. De ma vie. Et il est là, envoyé directement depuis mes souvenirs comme pour m'accompagner jusqu'à la fin. C'est le visage de Tom. Le visage de cet homme que j'aime désespérément et que j'aimerais jusque dans la mort.
Et là... après des jours de souffrance, après l'avoir entendu me hurler qu'il ne voulait plus me revoir... étonnamment je me sens bien. Je me sens enfin en paix. Et je sens déjà la douleur s'échapper de mon corps en même temps que le sang qui coule de mon bras.
Ça ne devrait plus durer très longtemps maintenant. La douleur va partir, et je vais enfin le retrouver. Dans mes souvenirs. Même la mort ne pourra pas m'enlever le souvenir de son visage, de son sourire. Rien ne pourra plus nous séparer maintenant.

Unexpected [FR/EN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant