Ouvrir les yeux est tellement plus douloureux que de les fermer en pensant que ce sera la dernière fois. Ça fait mal d'avoir échoué. D'ouvrir les yeux sur un plafond aux carrés blanc, une seringue dans le bras reliée à une perfusion. Mon regard vacille de mon bras droit à la poche transparente qui est remplie d'un liquide qui est actuellement en train de couler dans mes veines. J'ai l'impression d'avoir fait une sieste, et de me réveiller dans une autre année. Je suis sûr que vous savez de quoi je parle, lorsqu'on s'endort comme des cons sur le canapé et qu'on se réveille en se demandant où on est et quel âge on a exactement. Et bah j'ai la même impression. Cette raideur dans la nuque, cette lourdeur dans les amygdales, comme-ci je n'avais pas ouvert la bouche depuis des jours et que ma mâchoire était désormais bloquée.
Je tourne péniblement la tête vers la gauche, la nuque vraiment raide, comme-ci j'avais une minerve invisible. Mon regard tombe immédiatement sur le fauteuil installé près de la fenêtre, à quelques mètres du lit dans lequel je me trouve. Quelqu'un y est endormi. Et ce quelqu'un c'est ma mère. C'est vraiment étrange de la voir là, à mon chevet. Je dis ça parce que je suis tellement distante avec elle que je ne suis pas sûr de mériter sa présence dans un moment pareil. D'après Tom je ne mérite pas grand-chose de toute façon.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée inconsciente, mais la seule chose dont je me souviens c'est de son visage. De l'image que j'avais de lui lorsque je me suis sentis partir. Malheureusement pour moi, cette image a disparu lorsque j'ai perdu connaissance, et c'est le trou noir total. C'est comme une éclipse, comme-ci je m'étais réellement endormie sur mon canapé et que ça n'avait duré que trente minutes. Mais je ne pense pas que ça ait duré si peu de temps. Je pose doucement les yeux sur mon bras gauche au souvenir de ce que j'ai fait avec le morceau de miroir. Mon cœur rate un battement, signe que je suis bel et bien en vie malheureusement, lorsque j'aperçois le pansement énorme qui prend tout mon avant-bras. Waouh... je ne pensais pas que c'était si grand. Je ne me rappel même pas avoir entaillé mon bras avec le morceau de verre, c'est comme-ci je l'avais fait inconsciemment. Comme-ci mon subconscient avait pris le dessus pendant quelques secondes, et avait fait ce que je pensais faire depuis des semaines. Et j'ai échoué. Même ça je n'ai pas réussi à le faire correctement. À croire que je suis vraiment une merde jusqu'au bout.
La porte de la chambre s'ouvre brusquement, m'arrachant un putain de sursaut et mon regard tombe immédiatement sur la silhouette qui entre, un café dans chaque main. Ses yeux gris me tombent dessus et il s'arrête immédiatement, ne prenant même pas la peine de refermer la porte. La lumière de la chambre est tamisée, mais j'aperçois quand même les veines qui entourant ses prunelles habituellement glaciales, signe qu'il n'a pas dû dormir depuis un moment. J'avale difficilement ma salive, et c'est comme-ci ma gorge avait été asséchée complètement. Comme-ci elle n'avait pas laissé passer d'eau depuis des jours. Ça fait mal.
Mon père s'empresse de poser les deux cafés qu'il a dans les mains sur la table au bout du lit, et se précipite vers moi en deux pas seulement. Ses mains attrapent mes épaules et il me redresse en une seconde pour me prendre dans ses bras avec une force que j'avais oubliée. Ça fait tellement longtemps qu'il ne m'a pas serré dans ses bras. Je sens ses bras m'étouffer de toute sa force et mon cœur s'emballe sur le champ. Je lève les bras, prête à l'étreindre en retour, lorsque la douleur dans mon bras gauche m'empêche de le lever de plus de cinq centimètres. Je grimace en le laissant de côté pour serrer mon père d'une seule main. Ce n'est pas pratique, mais ça fait du bien. Il doit se passer, dix secondes à peine avant que je ne le sente trembler sur mon épaule. Puis ses sanglots étouffés parviennent jusqu'à mon oreille. Mon Dieu... il pleure. Putain c'est la première fois que j'entends mon père pleurer. En vingt-trois ans d'existence je ne l'avais jamais vu craquer. Et bordel ce que c'est douloureux. C'est comme-ci on m'entaillé le bras une deuxième fois en repassant sur la même plaie, ravivant une ancienne douleur additionnée à une nouvelle. Ça fait mal. Terriblement mal.
Je veux dire... voir Tom pleurer, s'effondrer en larmes à mes pieds lorsqu'il a appris pour Benjamin c'était clairement la pire douleur que j'avais ressentis avant qu'il ne brise mon pauvre cœur en me demandant de partir. Avant que je ne m'entaille le bras, dont la douleur n'est rien comparée à celle de perdre Tom. Vraiment. Mais là... là il s'agit de mes parents. Mon père. Il est entrain de pleurer, et c'est de ma faute. Vous imaginez vous, perdre votre enfant comme ça ? On n'est jamais prêt à perdre son enfant, mais pas comme ça putain.
Et c'est là que je me rends compte qu'en plus d'avoir échoué, la douleur ne serait jamais vraiment partie. Elle aurait juste envahi la vie de quelqu'un d'autre. Celle de mes parents en l'occurrence. Mais pas seulement. Il y a tellement de monde qui m'entoure. Emily pour commencer, mais aussi Tom. Je sais que c'est con, que c'est "à cause de lui" que j'ai fait ça. Mais imaginez une seconde, penser être responsable de la mort de quelqu'un. En réalité ce n'est pas de sa faute. C'est moi la seule responsable. C'est moi qui a fait ça, parce que j'avais trop mal. Parce que je ne voulais pas vivre dans un monde sans lui. Mais putain j'ai l'impression que c'était une connerie en fait. Et pourtant j'ai mal d'avoir échouée, parce que maintenant je vais culpabiliser pendant longtemps d'avoir fait subir ça à mes proches. Et aussi parce que la douleur est revenue. Elle n'est jamais partie, et elle ne partira certainement jamais maintenant. En tout cas il y aura toujours cette cicatrice sur mon bras pour me rappeler ce que j'ai fait. Pour me rappeler que cette douleur je n'ai pas réussis à la supporter. Je n'ai pas réussi à la combattre. Que j'ai préféré arrêter de vivre plutôt que de vivre une vie sans Tom.
Alors que mon père ne s'est toujours pas détaché de moi, je commence à m'en vouloir d'avoir fait ça, mais aussi d'avoir échoué. Parce que si j'étais morte... si j'étais morte je n'aurais pas à voir ça, à ressentir ça. J'en peux plus de ressentir ça. D'avoir mal tout le temps, à chaque seconde de ma putain de vie. J'en peux plus, vous comprenez ? Alors OK c'était une connerie, OK c'était un mauvais choix. Mais putain ça aurait dû marcher. J'aurais dû mourir. Ne plus avoir mal.
- Bon... tu vas te décider à parler ?
Je lève les yeux vers Emily qui me scrute depuis le fauteuil où elle est installée, son paquet de gâteaux dans les mains. Ça fait trois jours que je suis à l'hôpital, et je n'ai toujours pas dit un mot. Parce qu'en fait je n'ai rien à dire. À personne.
Ils m'ont enfin retiré la perfusion du bras, mais ils surveillent mes repas tous les jours. D'après eux je suis en manque de vitamines. De Fer et de Calcium principalement. Ils n'ont pas compris que je suis aussi en manque d'ocytocine et de dopamine. En manque d'amour et de joie de vivre. Enfin, pour la joie de vivre ils sont au courant, c'est d'ailleurs pour ça qu'ils me cassent les couilles tous les jours pour que je mange au moins la moitié de mon assiette comme une putain de gamine de cinq ans à la cantine de l'école maternelle. Vous l'aurez compris... j'en ai marre d'être enfermée ici. Du moins, ce n'est pas le fait d'être enfermée qui me gêne. C'est juste le fait d'être ici. D'être, tout simplement.
Mes parents ont essayé de me faire parler, sans succès. Mon père a même hurlé, claqué la porte de cette foutue chambre, mais rien n'y fait. Je n'ai pas envie de leur parler. Parce que la seule putain de question qu'ils ne cessent de me poser c'est "Pourquoi ?". Constamment. Et je sais que la réponse ne leur plaira pas, alors je préfère ne pas répondre.
Un truc atterrit sur mon livre et m'arrache un sursaut. Ce livre c'est Emily qui me l'a apporté, et elle ose balancer ses gâteaux pleins de chocolat dessus ? Non mais elle est dingue ou quoi ? Un livre c'est sacré putain !
J'attrape le Pim's à la framboise et lui balance en retour sans même lui jeter un œil.
- Hey ! Mon gâteau !
Je lève péniblement mon bras gauche pour lui adresser un doigt d'honneur qui est ma seule façon de communiquer avec elle depuis que je suis réveillée. Bon, je pourrais tout aussi bien parler... mais j'ai pas envie. Mon bras est toujours douloureux, mais c'est supportable. Toujours plus que d'avoir perdu l'homme que j'aime, raté ma tentative de suicide et devoir encaisser la culpabilité de voir les personnes autour de moi souffrir de cette situation.
- Aller, Elie ouvre la bouche merde ! Pourquoi tu ne parles pas ? À tes parents, je comprends, ils sont chiants, mais à moi quand même ! Putain je suis ta meilleure-amie, alors t'as pas le droit de jouer la muette avec moi !
Je lui jette un bref coup d'œil avant de me remettre à ma lecture, lorsqu'elle se lève du fauteuil que ma mère squatte depuis trois nuits maintenant et vient s'asseoir à mes pieds sur le lit, poussant mes jambes sans aucun remords. Elle s'assoit en tailleur et me scrute de ses yeux bleus où les éclats dorés qui les composent ont toujours eu pour effet de me faire avouer mes pires pêchés. Mais je ne quitte pas mon livre des yeux, et ça l'agace.
- Je ne comprends pas, Elie. Pourquoi tu ne veux pas me parler ? Je suis pas tes parents, OK ? Je n'ai rien à voir avec eux. Je sais déjà pourquoi t'as fait ça. Je sais que c'est à cause de Tom.
Mon cœur s'emballe comme un fou dans ma poitrine tandis que j'essaie de ne pas lui faire voir. C'est la première fois que quelqu'un parle de lui depuis que je me suis réveillée. Je pense que mes parents se retiennent de m'en parler. Parce qu'ils savent eux aussi.
- T'avais pas le droit de faire ça, tu sais.
Je déglutis amèrement. Elle croit que je ne le sais pas ? Elle croit que je ne sais pas que c'est ce que tout le monde pense ? Tout le monde m'en veut parce que j'ai essayé de me suicider, et moi je m'en veux de ne pas avoir réussi. C'est vraiment un monde de dingue, non ?
- T'avais pas le droit, Elena. Mais maintenant que t'es en vie, t'as encore moins le droit de faire comme-ci t'avais pas envie de l'être. Parce que si t'étais morte dans cette salle de bain une partie de moi serait morte aussi, banane ! Et crois-moi que je ne m'en serais jamais remise.
Je lève les yeux vers elle et croise ses prunelles bleues, toujours aussi inquiètent. J'en peux plus de cette inquiétude dans les regards de tout le monde. De cette pitié constante qui me regarde aux travers de leurs yeux. Ça me donne juste envie de m'entailler l'autre bras.
- Je t'aime, pauvre tocarde. Et c'est la première fois que je te le dis avec de vrais mots, et tu sais que j'ai énormément de mal à dire mes sentiments, alors t'as plutôt pas intérêt de rester silencieuse face à ça. Parce que sinon je te tue moi-même, et je ne vais pas me louper contrairement à toi.
Son sarcasme m'arrache un faible sourire. Le premier depuis trois jours. C'est vrai qu'elle ne m'a jamais dit qu'elle m'aimait, mais elle n'en avait pas besoin, j'étais déjà au courant. Moi non-plus je ne lui ai jamais dit en vérité. Emily et moi ça fait tellement longtemps qu'on est amies que c'est comme-ci on était nées ensemble, dans la même salle d'accouchement. On n'a pas besoin de se dire qu'on s'aime, on le sait. Mais là, si elle ose me le dire, alors c'est qu'elle doit beaucoup m'en vouloir. Elle essaie de me faire du mal, je le sais. Et oui c'est con de dire je t'aime à quelqu'un pour lui faire du mal, mais elle essaie juste de me faire ouvrir les yeux. De me faire réaliser qu'en fait je n'étais pas toute seule. Qu'il n'y avait pas que Tom pour me donner de l'amour. Et elle a raison cette saleté.
- Moi aussi.
Ma voix est rocailleuse, et c'est normal. Ça fait quatre jours au total que je n'ai pas parlé, et au final elle résonne comme-ci je n'avais cessé de hurler durant ses quatre jours consécutifs. Emily ouvre les yeux à leur maximum et laisse son paquet de gâteaux de côté, signe qu'elle s'apprête à me sauter dans les bras.
- Moi aussi je t'aime tocarde.
Le sourire qui illumine son visage illumine toute la pièce également, et elle ne met qu'une seconde pour me sauter dessus, allongeant carrément tout son corps sur le mien pour me serrer contre elle. Ça fait du bien. J'avoue que si j'étais morte... c'est ça qui m'aurait le plus manqué. Ses câlins. Parce qu'avant ceux de Tom, c'était ses bras mon refuge. Et ça faisait bien longtemps que je n'avais pas eu besoin de m'y réfugier comme ça.
- Ne refait plus jamais ça, Elie. Si tu meurs, je meurs aussi, tu te souviens ?
Oui, je me souviens. On avait fait un stupide pacte de sang lorsqu'on est entrées au collège toutes les deux. On était tellement nulles, tellement pas populaires et on se sentait tellement méprisées qu'on s'est liées comme deux idiotes en se piquant le doigt avec une punaise qu'on avait chourrée en Arts Plastiques. Je m'en souviens parfaitement. Il pleuvait, on s'était abritées sous le porche en dessous des salles de chimie, là où nos casiers étaient installés. Je me souviens encore de leurs couleurs rouges flashy. Ce jour-là on s'était promis que si l'une de nous mourrait, l'autre aller en mourir aussi. C'était stupide, et pourtant quand j'y repense... c'était réel. Si j'étais morte, je sais qu'une partie d'elle aurait disparue avec moi. Et je m'en veux pour ça. Emily est la meilleure personne autour de moi, et elle ne mérite pas ça. Elle ne méritait pas de ressentir ma douleur au travers de ma tentative de suicide. C'est comme-ci j'avais essayé de la tuer elle aussi.
Et ça me rappelle les mots de Tom. En fait... en voulant me donner la mort, j'ai voulu les tuer eux aussi. Les tuer, tous. Tous ceux qui m'aime, j'ai voulu les tuer avec moi. Je suis vraiment la pire des idiotes que ce monde est connu, pas vrai ? La pire des idiotes toujours vivante du moins.

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Unexpected [FR/EN]
Fanfiction"- Elena !" C'est mon nom. Mais prononcé avec son accent ça me retourne l'estomac, à chaque fois. J'étais pas prête. Rien dans ma vie ne me prédestinait à rencontrer quelqu'un comme lui. Quelqu'un comme lui ? Il n'a rien d'anormal pourtant, ce n'es...