Le Requiem du loup

Chapitre 19

 — Ils ne peuvent pas se volatiliser ! trancha Risza en abattant son poing sur la table. Renforcez la surveillance des axes. Les meutes du nord ne laissent plus d'étrangers pénétrer sur leurs territoires. S'ils commencent à faire justice eux-mêmes, la paix sera menacée.

Les Loups, s'en prendraient-ils aux humains qui, pendant longtemps, les avaient chassés par crainte ? Se retourneraient-ils contre les vampires ? Pour la première fois depuis le traité, une menace de grande ampleur pesait sur eux. Qui se montrait assez lâche pour s'en prendre à des Louveteaux ? À des enfants ?

— Selon le rapport du Caporal Awen, la situation est identique aux précédentes, annonça le représentant des Chasseurs. La disparition a eu lieu en pleine journée. La piste s'arrête à quelques mètres de la demeure des parents, la meute perd ensuite l'odeur de l'enfant. Leur patrouille n'a rien remarqué d'anormal ou d'inhabituel. Le Mage Sanawel n'a pas relevé de trace de magie. Ni Blanche, ni Noire, ce qui ne signifie qu'une chose.

— Nous avons affaire à un Mage suffisamment puissant pour effacer toute présence de magie, conclut la reine.

Des murmures s'élevèrent au sein de l'assemblée. Des œillades convergèrent en direction des deux Mages royaux, qui gardèrent un visage impassible. De la méfiance naissait l'intolérance. Par le passé, la peur de la magie avait engendré la haine. L'Histoire ne devait pas se reproduire.

Valérian jeta un coup d'œil en direction de sa reine. Ses yeux argentés étincelaient de colère. Il savait que sous son masque impassible se cachait la douleur d'une meute qui venait de perdre un des leurs. Elle ressentait la souffrance de son peuple.

Ils échangèrent un long regard et Valérian hocha imperceptiblement la tête. Même si sa formation ne se terminait que dans deux ans et demi, il avait conscience que son rôle commençait dès à présent, en mémorisant les visages et les identités de tous ceux qui entouraient et conseillaient le pouvoir royal. Désormais, il serait en mesure de localiser n'importe laquelle des personnes présentes dans cette salle. Là était le véritable danger de son Don, qui pourrait paraître ridicule aux yeux des autres. Il ne devenait pas simplement Messager, il endossait aussi le rôle d'espion.

La magie laissait toujours une trace, une empreinte de son passage. Tous les Mages pouvaient la ressentir, la deviner. Néanmoins, peu d'entre eux possédaient les capacités de les effacer complètement. Cette piste était à exploiter, mais encore fallait-il que les talents du magicien en question soient connus.

— C'est la piste qui nous semble la plus plausible. Aucun des Chasseurs envoyés sur place n'a remarqué quoi que ce soit qui impliquerait des Démons. Ils ne vivent que pour détruire et s'abreuver du chaos. Ils sont incapables d'effacer leurs traces.

— En effet, concéda la souveraine. Il semblerait donc que nous ayons affaire à un Mage, ou à un individu pourvu d'un Don qui lui permettrait de masquer sa présence et celles de ses victimes. Maître Jiraya, existe-t-il, à notre connaissance, une famille qui posséderait une telle capacité ?

L'homme resta silencieux. Durant quelques secondes, ses prunelles bleu foncé se voilèrent d'un blanc laiteux. D'aussi loin que remontaient ses souvenirs, Valérian l'avait toujours connu avec ses cheveux grisonnant et ses rides. Quel âge avait-il réellement ? Il n'était pas certain que quelqu'un détienne la réponse autour de cette table.

Son clan était la Mémoire de la famille royale. Leur terrain de jeu s'avérait aussi infini que le savoir : dans la bibliothèque, dans la salle des registres, dans les archives et partout dans le monde. Tout ce qu'il lisait ou entendait trouver une place bien rangée dans son esprit. Les membres de cette famille n'oubliaient jamais rien. À force d'amasser leur savoir, certaines informations se retrouvaient ensevelies, mais ils les retrouvaient toujours. Pour cela, il leur suffisait d'entrer dans leur propre mémoire. Un Don aussi formidable que terrifiant.