Le Requiem du loup

Chapitre 35

Combien de jour s'étaient écoulés, exactement ? Valérian n'en savait rien. Le temps était devenu une chose complètement abstraite et grossière. Il lui vouait désormais une rancune tenace. Il n'avait pas eu assez de temps avec lui. Les regrets le rongeaient presque autant que la colère. Tout était de la faute des Loups. À cause d'eux, il avait dû s'absenter cinq mois, alors que sa place était aux côtés de Caspian.

— Nous n'avons pas retrouvé la trace des Loups, annonça un conseiller. Syn les a poursuivis jusqu'à la frontière de Suûna et a perdu leurs traces.

Ces incapables. Valérian ricana mentalement. Un rire moqueur, amer. Alors c'était ça la garde royale ? Des Soldats et Chasseurs impuissants et dépassés. Il ne daigna même pas leur accorder un regard. Plus pâle que jamais, les yeux creusés de cernes et éteints, il ignorait le regard d'Esméraldya. Sa sœur était rentrée de mission la veille. C'était la première fois qu'ils assistaient ensemble à un Conseil. Pourquoi était-il venu ? Le Messager se le demandait à chaque session. Rien n'avançait. Personne ne comprenait.

Une bête hurla son chant maudit dans sa tête et il frémit.

Les grognements, la lueur de folie dans leurs pupilles lupines, leurs crocs déchirants la chair et arrachant les os. Cette sensation, il la connaissait : être une proie face à la sauvagerie des Loups. La peur, la douleur. Il imaginait les cris de Caspian en échos à ceux qu'il avait poussés lorsque la meute s'était attaqué à lui. Sauf que son amant avait été seul. Personne n'était venu l'aider. Il était mort seul, sous la violence de trois bêtes. Nul doute qu'il s'était battu jusqu'au bout, qu'il avait tout donné. Qu'avait été sa dernière pensée ? Avait-il songé à ses amants, endormis l'un contre l'autre ? Avait-il crié leurs prénoms, comme Valérian les avait appelés lors de la fameuse pleine lune qui avait tourné au désastre ? Il avait dû tant souffrir dans ses derniers instants.

Syn n'était qu'un incapable. Non seulement il n'avait pas su protéger son fils, mais en plus de cela, il avait perdu la trace de ceux qui l'avaient assassiné. Des Loups. Encore et toujours. Le seul élément qui avait permis à l'enquête d'avancer s'avérait risible tant il était ironique : c'était des Loups qui aidaient un Mage à enlever les Louveteaux. Ils avaient réussi à s'infiltrer jusqu'au cœur de la capitale et avaient semé le chaos.

Le scénario était confus, dans la nuit noire et la panique les témoignages se révélaient brouillons. Les uns parlaient d'un Loup démoniaque sorti tout droit des flammes, d'autres juraient avoir vu une bête sombre comme les ténèbres possédant un regard de glace. La créature avait poursuivi Syn qui, lui-même, avait traqué deux autres loups et un Mage jusqu'à la sortie du village. Nul doute qu'il s'agissait du même homme qui avait tenté de s'en prendre à ses yeux.

Ils avaient tenté d'enlever un enfant et Caspian s'était interposé, au prix de sa vie. Comment avaient-ils pu prendre ces risques inconsidérés pour un Louveteau dont le lien avec Valérian était établi ? Avaient-ils été mal renseignés ? Quelque chose n'était pas logique dans leur comportement. Qu'avait été leur but réel en venant ici ? Narguer la reine ?

Valérian enfouit une main dans sa poche et caressa de son pouce la surface lisse de la chevalière de son amant. De façon égoïste, il l'avait gardée pour lui, n'avait pas averti Syn qu'il l'avait retrouvée. Elle était désormais à lui et à lui seul. Seul Elijaï partageait ce maigre secret, l'encourageait à le garder. Parfois, il avait peur qu'il la lui réclame. Parfois, il lui en voulait d'avoir passé tellement plus de temps avec Caspian que lui, de mieux le connaître.

Le noble tourna la tête en direction de la fenêtre. Son regard se perdit à l'horizon. Elijaï continuait de suivre ses cours et ses entraînements, mais lui n'en avait pas eu la force ni l'envie. À quoi bon ? La plupart du temps, il se révélait incapable d'écouter. Désormais, il avait mieux à faire que de jouer les apprentis.