Chapitre 38

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Mon cher Valérian,

J'espère que tu vas bien.

J'ai beaucoup de mal à m'acclimater à ce nouvel environnement. Mon maître, Rin, habite dans les montagnes, à si haute altitude que l'air y est plus rare qu'en bas. Je dois appendre une nouvelle façon de respirer et de bouger, afin de tirer avantage de ce terrain.

Comme je m'y attendais, il fait vraiment froid. Un vent glacial souffle presque en continue et les plateaux rocheux offrent peu d'abri naturel. Savais-tu que plusieurs villages ont été creusés sous terre ? Ici, les habitants ont l'habitude de vivre de façon rude. Ils ont développé une bonne vue, puisque la nuit est plus longue qu'ailleurs. Je suis le seul à avoir la peau halée et on voit qu'ils n'ont pas l'habitude de voir des étrangers s'aventurer dans leur province.

Heureusement, ces désagréments s'oublient vite face au reste. Tu verrais ça, Valérian ! La nuit s'illumine comme nulle part ailleurs, étoiles semblent plus nombreuses, plus grosses. Chaque soir, des aurores boréales dansent en vague dans le ciel. Il y a aussi des sources chaudes naturelles et d'immenses lacs gelés. Rin m'amène parfois m'entraîner sur ces derniers pour perturber mon équilibre. Ici, l'entraînement que j'ai suivi à l'académie m'est presque inutile, j'ai l'impression de tout recommencer, de partir de zéro. Ce n'est pas simple, mais tu me connais : j'aime relever les défis. Ces longues heures d'effort me permettent de ne penser à rien d'autre, de me vider la tête.

Et toi, qu'as-tu fait dernièrement ?

À très bientôt,

Elijaï, ton Chasseur.

Valérian rangea la lettre légèrement froissée dans son enveloppement. Il la connaissait presque par cœur tant il avait eu besoin de la relire, encore et encore, afin de ne pas perdre pied. Savoir qu'Elijaï allait bien le rassurait, mais de façon égoïste la joie qui transparaissait dans ses mots lui laissait un goût amer. Il aurait préféré que son amant se plaigne de l'endroit, qu'il se languisse de lui et ait hâte de le retrouver. Pourtant, il semblait s'y habituer et, pire, se plaire là-bas. Il se complaisait dans l'effort, afin d'oublier le reste. Caspian et lui faisaient-ils partie du reste ?

Valérian le jalousait presque de parvenir à se vider la tête. Lui n'y parvenait pas. Risza et sa famille veillaient sur sa santé, mais il avançait difficilement, ne trouvait plus goût à rien. La fatigue le retenait en otage.

Valérian,

J'espère que tu vas bien.

Comme je te l'avais dit, Mina, la femme de Rin, est une Mage. J'apprends beaucoup d'elle également. J'ai finalement eu beaucoup de chance de tomber sur eux, Syn avait raison. Il m'a dit qu'il te donnerait lui-même cette lettre, ainsi elle te parviendra plus rapidement.

Ici, l'hiver est très long, il neige chaque jour et les nuits sont sans fin. J'espère que les beaux jours ne tarderont pas trop, j'en ai assez de manger du poisson séché.

Rin est un Chasseur spécialisé dans les Démons sensoriels, ceux qui ne sont pas très forts au combat et plutôt simples à battre dans un face-à-face, mais qui font tant de victimes de par leurs envoûtements. Il est très fort pour les repérer et deviner leur présence. Une seconde d'inattention peut-être fatale. La moindre odeur qui change, le moindre bruissement inhabituel peut cacher un maléfice qui emprisonne les sens. C'est à la fois difficile et passionnant.

Nous avons libéré un village victime de Sirènes la semaine dernière. C'était la première fois que j'entendais leur chant.

Et toi ? Comment s'est déroulé ta visite à Delphéa ?

À très bientôt,

Elijaï.

En six mois, Elijaï ne lui avait envoyé que ces deux lettres, d'une banalité presque douloureuse. Valérian s'était attendu à des déclarations enflammées, à des mots personnels, touchants. Il en avait besoin. Besoin de sa tendresse, de son affection. Il était heureux d'avoir de ses nouvelles, de savoir comment il occupait ses journées, mais il avait l'impression que quelque chose manquait. Pas une fois il lui avait parlé de Caspian.

La veille, il avait croisé Syn au château. Ce dernier lui avait confié qu'il s'apprêtait à envoyer un courrier à Rin pour s'enquérir des progrès de son élève. Il lui avait proposé de joindre une lettre pour Elijaï. Il avait sauté sur l'occasion pour se livrer un peu et soulager sa conscience. Il avait besoin de se confier, de livrer ce qui le rongeait.

Cher Elijaï,

Je suis content pour toi si tout se passe bien. J'aurai aimé te rejoindre quelque temps, mais je suis envoyé à Atlankri dans deux semaines, afin d'y rencontrer le jeune seigneur qui vient de succéder à son père. Ma visite à Delphéa a été courte. La province s'est relevée de la dernière crise, Risza souhaite financer la construction d'un second port pour y développer le commerce.

C'est étrange, le temps me paraît vraiment long et, pourtant, ça fait tout juste huit mois que Caspian n'est plus là. L'enquête n'avance toujours pas et j'en viens à me demander si nous retrouverons un jour le coupable. Les rumeurs vont vite de village en village. Il y a eu une tentative d'enlèvement d'un Louveteau au sein d'un couple de Loups solitaires. Selon la description des faits, il s'agit vraisemblablement du même individu. Ils ont également parlé d'un Loup sorti des flammes, d'yeux de glace. Malheureusement, les témoignages se perdent peu à peu en direction du sud.

Peut-être que si j'avais été plus rapide ce soir-là, j'aurai pu l'apercevoir ? Si tu savais le nombre d'heures que j'ai passé à me rejouer le scénario. Il me manque terriblement. Je n'ai peut-être pas le droit de le dire de cette façon, de te rappeler une nouvelle fois que nous l'avons perdu, mais tu es le seul à qui je peux en parler.

Tu me manques. J'aimerais que tu sois là ou que je sois avec toi. Peut-être que j'aurais dû partir également, t'accompagner ? Parfois, je le regrette. Je ne sais pas si j'aurai pu m'habituer à la vie là-bas, mais j'aurais dû essayer, parce que l'important dans tout cela, c'était d'être avec toi. Peut-être que tout aurait été plus simple. J'aurai partagé ton rêve, parce que même si j'ai réalisé le mien en devenant Messager, je n'arrive plus à être heureux. Peut-être qu'il n'est pas trop tard, qu'en penses-tu ?

Je t'embrasse,

Valérian.

Le noble s'était montré aussi honnête que possible. Il y croyait réellement : si Elijaï le souhaitait aussi, il n'hésiterait plus à tout laisser tomber pour le rejoindre. Durant trop longtemps, il s'était figuré que les sacrifices devaient être faits du côté de son meilleur ami, afin que lui-même puisse continuer de vivre à la Cour.

Pourtant, l'inverse se révélait possible, il s'en rendait seulement compte. Pourquoi Elijaï ne le lui avait jamais demandé ? N'avait-il pas osé le lui proposer, de crainte de briser ses rêves ? Avait-il pensé que, peu importaient ses arguments, Valérian ne le suivrait jamais ? Aujourd'hui, le noble était prêt à renoncer à tout. Il avait perdu le goût du voyage et des rencontres. Désormais, seule une obsession le rongeait : venger Caspian. Chaque jour attisait un peu plus sa haine et sa frustration. Combien de fois avait-il arpenté les chemins qu'avaient empruntés les meurtriers ? Il avait interrogé les habitants des villages alentours, avait sillonné des centaines de kilomètres dans l'espoir de récolter le moindre petit indice. Rien n'y faisait, tout s'arrêtait brusquement.

L'incertitude et l'injustice pesaient de plus en plus, à tel point qu'il savait désormais qu'il ne trouverait la paix que lorsque les assassins de Caspian seraient identifiés et arrêtés. Au fond de lui, bien enfoui, il rêvait de s'occuper personnellement de ces individus, de laisser échapper cette haine et cette rancœur qui le rongeaient. Elijaï serait-il prêt à l'y aider ?

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Bonjour ! J'espère que vous allez bien. 

Bonne nouvelle: je vais tenter d'accélérer un peu la publication. Attendez vous donc à avoir des chapitres réguliers et prenez garde de ne pas en louper. Les notifications Wattpad sont parfois capricieuses, ce serait dommage de sauter un chapitre ^^

À bientôt ! ❤️

⭐Joyce. 

Le Requiem du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant