Le Requiem du loup

Chapitre 46

Une masse le percuta de plein fouet, coupant sa respiration. Plaqué dans la neige, Valérian se débattit, tandis qu'un poids pesait sur son torse et chassait l'air de ses poumons. Il renversa la tête en arrière, à la recherche d'oxygène, mais des doigts pincèrent son nez et une main couvrit sa bouche. Ses poings s'abattirent sur les bras de fer qui le maintenaient, son regard paniqué accrocha les prunelles sombres qui le fixaient avec intensité. Il se débattit de plus belle. Il devait sauter ! Pourquoi Elijaï le retenait-il ? Pour mieux le tuer de ses propres mains ?

Son regard se fit suppliant. Il tenta de mordre, souleva son bassin pour le renverser, mais le Chasseur referma ses cuisses autour de ses côtes, l'étouffant un peu plus. Il jeta un d'œil désespéré au vide qui l'appelait, à moins de deux mètres, tendit un bras dans sa direction...

— Aller, avale ! ordonna le Chasseur.

Valérian obéit en prenant conscience d'un élément dur contre ses lèvres. Il les ouvrit machinalement et avala le cachet qui commença à mousser au contact de sa salive. Elijaï le libéra aussitôt et il se retourna pour tousser, un avant-bras plaqué contre son ventre. Des résidus verts s'échouèrent sur la neige, alors qu'il expulsait l'air toxique resté dans ses poumons. Sa vision s'éclaircit et il s'écarta vivement du bord du précipice en frémissant d'effroi. Avait-il vraiment eu envie de sauter ?

Un grondement sourd lui fit tourner la tête. Un Dotraïs battait furieusement des ailes. Sa gueule béante laissait apparaître trois rangées de dents affûtées. Elijaï para de son épée sa queue terminée par de longues épines et recula d'un bond. Le démon baissa la tête et chargea, ses cornes de bélier mises en avant. Le Chasseur s'avança à sa rencontre dans un cri, glissa dans la neige au dernier moment et passa sous la créature afin de transpercer son ventre de sa lame. Le monstre se débattit en poussant des cris perçants et commença à se dissoudre en poussière.

Comment avait-il pu se faire avoir ? Quand le Démon l'avait-il ensorcelé pour l'attirer dans son piège, attendant tranquillement le saut qui lui aurait été fatal, afin de le dévorer ? Il n'avait rien vu. Il avait probablement été une proie facile à manipuler.

Valérian frémit et poussa sur ses talons pour s'éloigner un peu plus du bord. Le vent chantait dans le vide, sifflait dans les pierres irrégulières de la falaise. Elijaï se porta à sa hauteur et il ferma les paupières quelques secondes, attendant les remontrances et les railleries.

— Je voulais pas le faire, se défendit-il à voix basse. Je ne voulais pas sauter.

Il lui semblait important de le dire à voix haute, de rétablir la vérité. Il s'était approché au bord contre son gré. Par la Déesse, et si Elijaï n'était pas intervenu ?

— Je sais. Viens.

Le cœur au bord des lèvres, Valérian contempla sa main tendue. Il aurait aimé la repousser, l'envoyer promener, lui demander pourquoi il l'avait suivi. Néanmoins il la saisit, les doigts tremblants, et se releva avec son aide. Il aurait aimé que ce moment dure pour l'éternité. Sa peau était chaude, étrangère, mais familière en même temps.

— J'ai repéré un abri pour cette nuit.

Elijaï le lâcha et lui fit signe de le suivre. Le noble lui emboîta le pas sans aucune hésitation, trop retourné pour rester en colère. Il marcha au plus près de lui, la gorge nouée à l'idée de s'éloigner. Peut-être que s'il le suppliait de lui redonner une chance... ? Il était prêt à faire n'importe quoi, parce qu'un détail venait de tout bouleverser : Elijaï ne portait plus ses gants. Il avait enfin fait attention à ses mains nues et il ne pouvait qu'être formel : aucun anneau ne s'enroulait autour de son annulaire gauche. Et si tout n'avait été que des rumeurs depuis le début ? Mais alors pourquoi n'avait-il jamais répondu à ses lettres ? Pourquoi se montrait-il si froid avec lui ?