Chapitre 14

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Noir. L'obscurité avait tout envahi, épaisse et silencieuse. Elle ne possédait rien d'effrayant ou d'angoissant, elle annonçait au contraire le calme et la sérénité. Une étreinte chaude et réconfortante, qui repoussait tout : la douleur, le manque, les regrets. C'était neutre, reposant. Valérian s'y raccrochait avec soulagement, comme s'il s'abritait d'une tempête, reculait au plus tard possible le moment où il serait contraint de s'élancer à nouveau pour la pluie.

Lui qui avait toujours mis en point d'honneur à affronter la vie la tête haute chérissait cette halte forcée. Il s'autorisait cette fuite, ce répit bienvenu. Ici, la souffrance ne l'atteignait plus, l'odeur du sang avait disparu, remplacée par un parfum plus boisé et épicé dont il se gorgeait.

Une secousse soudaine tenta de le tirer des limbes de son esprit, mais il s'y raccrocha, se débattit avec la réalité. Un battement faible, mais régulier, pulsait à ses tempes, tout juste de quoi le maintenir en vie. D'ailleurs, l'était-il vraiment, en vie ? Il avait tout juste conscience de son corps lourd, écrasé par une fatigue presque mortelle. Rien ne lui donnait assez de force pour lutter, pas même le réconfort de se rapprocher d'Elijaï. Embrasser la chaleur agréable qui l'entourait s'avérait bien plus facile. Il n'avait qu'à se laisser porter.

Des doigts tendres caressèrent sa joue, ajustèrent sa position pour que son visage s'enfouisse naturellement dans un creux. Le parfum devint alors plus prononcé.

Caspian.

— Accroche-toi, murmura sa voix lointaine. On arrive.

Son souffle effleura son oreille. Il aurait aimé le rassurer, lui répondre qu'il était bien, là, mais ouvrir les lèvres semblait insurmontable. L'épuisement essaya de le faire à nouveau sombrer, mais il s'accrocha à certains sons. Comment aurait-il pu les ignorer ? La respiration de Caspian devenait la plus belle des mélodies. Dans ces conditions, il consentait à céder à la fatigue.

Un grondement le retint pourtant quelques instants de plus. Le torse contre lequel il reposait se tendit et vibra.

— Ne le touche pas, menaça Caspian, tranchant et venimeux. Je jure que le premier qui le touche...

Sa menace s'évanouit sous un cri. Son prénom venait de jaillir. Il aurait aimé rassurer Elijaï, mais ne parvint même pas à ouvrir les yeux. Peu lui importait, il savait désormais qu'il était rentré. Il se moquait bien de l'endroit où il se trouvait, pourvu que deux personnes en particulier se trouvent près de lui.

Son corps quitta lentement son cocon protecteur. Durant une effroyable seconde, il se retrouva seul. Et puis... Les bras d'Elijaï. Il mourrait d'envie de s'accrocher à lui. Il faillit céder à la peur et la douleur, désormais certain de pouvoir les panser blotti contre lui.

Près.

Ils se trouvaient si près de lui.

Les avoir tout proches demeurait le principal, rien d'autre ne comptait. Il n'avait résisté que pour savourer le moment où il le rejoindrait. Désormais, il pouvait cesser de lutter contre les ténèbres qui l'appelaient. Il retrouva son obscur rempart, ses ténèbres qui l'avaient sauvé. Le moment n'était pas encore aux retrouvailles. Quelque part, au fond, il savait : s'il ouvrait les yeux, la mort le cueillerait, il succomberait à ses blessures.

Le cœur lourd à l'idée de les abandonner pour retrouver sa solitude, Valérian sombra. Son corps avait besoin de temps.

***

Un son faible s'échappa de ses lèvres. La brûlure de sa gorge sèche lui arracha une grimace et une toux bien trop violente pour son corps affaibli faillit lui faire perdre connaissance. Valérian tenta de se redresser par réflexe, à la recherche d'oxygène, mais une main se posa sur son torse pour le tranquilliser. Sa respiration s'apaisa aussitôt, comme les battements de son cœur. Des doigts à la douceur désarmante caressèrent son visage. Il s'imprégna de cette tendresse bienvenue, savoura le geste.

Le Requiem du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant