Chapitre 56

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Valérian observait résolument les ténèbres par la petite fenêtre de la calèche. L'obscurité de la nuit engloutissait tout. Il lui était impossible de voir quoi que ce soit, mais il préférait se plonger dans cette noirceur plutôt que de faire face à ses voisins. Le regard insistant de Solior l'agaçait, le mettait mal à l'aise. Il avait la sensation d'être un trophée, une œuvre d'art qu'il souhaitait exposer à sa cour pour attiser la jalousie. Afin de fuir l'ambiance pesante, il répétait son plan dans sa tête.

Après une quarantaine de minutes de trajet, les contours d'un manoir se dessinèrent sous le clair de lune. Plusieurs dizaines de fenêtres étaient éclairées, de grandes torches encadraient l'entrée. En voyant le carrosse royal arriver, les invités qui se pressaient pour se mettre à l'abri du froid s'arrêtèrent. Le véhicule s'immobilisa à hauteur d'un tapis rouge et un domestique ouvrit la porte. Syn entendait-il le rythme endiablé de son cœur, qui pulsait avec force dans sa poitrine, comme s'il cherchait à s'en libérer ?

Solior fut le premier à sortir, entraînant la révérence d'une dizaine de convives. Une fois encore, il lui présenta un bras. Après une inspiration, Valérian descendit, peu certain que ses jambes arrivent à le porter. Il agrippa le bras tendu, malgré lui impressionné par les regards qui les scrutaient, tantôt surpris, tantôt appréciateurs ou critiques. Dans quoi s'était-il fourré ? Il avait la sensation de se jeter dans la gueule du Démon.

— Allons-y.

Le noble marcha à côté de Solior de façon machinale, esquissant de temps en temps un sourire faux des plus convaincants. La chaleur du manoir était presque étouffante. À moins que ce ne soit le nombre d'invités qui s'écartait à leur approche, les saluait d'une révérence et se refermait sur leur passage, qui lui donnait la sensation d'être prisonnier ?

— Majesté, c'est toujours un honneur de vous recevoir.

Un homme s'inclina de façon presque trop basse, exagérée.

— Je vois que vous êtes en charmante compagnie ce soir. Alaxaï di Vinti, se présenta le seigneur.

— Merci pour votre accueil. Valérian de Wentalya.

Il hocha poliment la tête, soutenant le regard froid de son hôte, que son faux sourire n'atteignait pas.

— Vous venez de... ?

— Zeldya.

— Un beau royaume.

Alaxaï se désintéressa de lui après ces politesses et écarta un bras. Aussitôt, une jeune femme se présenta à ses côtés. Une peau dorée, une cascade de cheveux roux et de beaux yeux bleus en amande. Une beauté atypique qui attirait l'œil.

— Je vous présente ma fille, Orélya. Elle revient seulement d'un voyage de cinq longues années. Elle étudiait auprès des prêtresses d'Hodya.

— Intéressant, la complimenta le roi par politesse.

Ce dernier semblait peu impressionné. Des seigneurs qui lui présentaient leurs enfants, il devait en rencontrer à chacune de ses apparitions. Il fallait dire qu'à vingt-huit ans, il n'était toujours pas marié. En suivant le ballet des domestiques au château, Valérian en avait surpris plus d'un à gagner les appartements de Solior. Il en recevait souvent, parfois même plusieurs en même temps, homme ou femme.

Valérian frémit d'horreur. Dire que Risza aurait dû l'épouser. L'image de la reine défunte revint le hanter.

— Je vous en prie, entrez.

Alaxaï invita son roi à rejoindre un premier salon. Valérian le suivit et attrapa une coupe de vin qu'un serveur leur proposa. L'heure qui suivit fut ponctuée de présentations ennuyeuses, de regards en coin ou indiscrets. Le noble joua de son sourire, échangea quelques poignets de main, mémorisa les prénoms, les domaines des seigneurs, ce qui faisait leur fortune. Mine de charbon, pêche, produits de beauté, vêtements. Valérian possédait l'esprit, l'intelligence et la culture pour s'intéresser à chaque domaine ou, du moins, faire semblant. Il prenait cette soirée comme un immense jeu de rôle. Il lui fallait au moins cela pour ne pas montrer sa nervosité. À plusieurs dizaines de kilomètres d'ici, Caspian avait quitté sa cachette pour s'approcher du château.

Le Requiem du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant