Le Requiem du loup

Chapitre 43

Deux jours. Valérian n'était pas sorti de ses quartiers depuis deux jours entiers. Il naviguait entre sa chambre, sa salle d'eau et l'entrée, dans laquelle il accueillait le domestique qui amenait ses repas. Assis sur la banquette installée devant sa fenêtre, le dos appuyé contre le mur, il tentait de se détendre en lisant un roman. À chaque fois qu'il apercevait une silhouette du coin de l'œil, son cœur s'emballait et il mettait de longues secondes avant d'oser regarder.

La perspective de croiser Elijaï au détour d'un couloir le terrifiait autant qu'elle le tentait. Le jour, il rêvait d'une rencontre fortuite durant laquelle ils échangeraient un sourire puis bavarderaient timidement, avant de se montrer de plus en plus à l'aise. Le passé serait effacé, les questions oubliées. Ils finiraient par se rapprocher, s'étreindre, s'embrasser, faire l'amour.

Sa gorge se noua. Ce n'étaient que des songes éveillés. La nuit demeurait bien présente pour l'aider à garder les pieds sur terre. Ses cauchemars le renvoyaient à un Elijaï froid, qui ignorait sa présence et arborait un anneau autour de son annulaire gauche. Avait-il laissé sa fiancée là-bas ? L'idée qu'elle l'ait suivi ici lui serra tellement le cœur et les entrailles qu'il eut envie de vomir. Était-il marié ?

Il n'avait jamais cru à cette rumeur, qui s'était pourtant propagée comme une traînée de poudre à travers le château et sa cour, l'avait ignorée, rejetée. Et s'il devait à présent retirer ses œillères et affronter la vérité ?

Un Loup chanta, parasitant son esprit. Il avait compris depuis longtemps que ces hurlements ne se produisaient que dans sa tête, produit pas son âme meurtrie. Était-ce une façon qu'avait trouvée son corps pour ne pas qu'il abandonne : alimenter ses envies de revanche et attiser sa soif de justice ?

Valérian secoua la tête pour chasser cette chimère et déposa son livre sur la banquette afin d'entourer ses jambes de ses bras, avant de poser son menton dessus. Autrefois, son lien avec Elijaï surgissait instinctivement. Il avait bataillé des semaines pour ne plus qu'il surgisse à tort et à travers. Aujourd'hui, c'était comme s'il le gardait sous verrou. Il ne jaillissait plus. Où pouvait-il être ? Chez ses parents ? Au palais ? En tant que Chasseur royal, il avait le droit de résider ici, dans la partie du château qui leur était réservée. Était-il déjà reparti en mission ?

De la buée se forma sur la fenêtre, troublant la vue sur le parc. Il se rendit alors compte que son souffle était irrégulier, erratique. Comment continuer à avancer ? Il ne voulait pas sortir, risquer de croiser son regard neutre, le voir se détourner de lui. Combien de fois avait-il imaginé leurs retrouvailles après son départ ? Il voyait son visage s'illuminer, ses lèvres sourires, ses yeux le dévorer d'un feu ardent, entre amour et désir.

Il ne l'avait aperçu que quelques secondes, mais tous ses espoirs s'étaient effondrés devant son indifférence. Qu'avait-il fait de mal ? Qu'est-ce qui l'avait déçu à ce point ? Ils auraient pourtant dû s'aimer pour toute la vie.

Valérian appuya une main sur son cœur douloureux. Quand est-ce que ça s'arrêterait ? La souffrance ne le quittait plus depuis quatre ans. Sa gorge était tant nouée qu'il avait du mal à respirer.

Un gémissement lui échappa et il plaqua une main sur ses lèvres. La panique le gagna un peu plus lorsque ses yeux s'embuèrent. Il n'avait pas le droit de pleurer. Il ferma étroitement les paupières et trouva refuge dans une chaleur imaginaire. Il força la noirceur à reculer devant du bleu. Un beau bleu turquoise qui le réconforta un peu. Caspian le regardait-il de là-haut ? Que penserait-il d'eux en ce moment ? L'aurait-il laissé pleurer dans ses bras ? Valérian priait pour qu'il l'aide, lui envoie un signe afin de lui dire comment faire. Il ne demandait pas à être heureux, juste un peu moins malheureux. Juste un tout petit peu.