Acte II, scène 4

151 31 26
                                    

— Entrez.

La voix rugueuse du général leur parvint derrière la porte entrebâillée de son bureau. Kosan le découvrit enseveli sous une montagne de documents, rapports divers et notes internes. Même si leur groupe d'insurgés restait de taille modeste, sa volonté de concentrer tout le pouvoir autour de sa figure autoritaire faisait de Cassendi un homme débordé.

Débordé, mais efficace.

Il se leva pour les échanges formels de poignées de mains ; signe qu'il accordait à ses deux visiteurs une estime au-delà du simple subalterne. Légitime pour Lupin qui assurait mille et une fonctions de la logistique, au recrutement, en passant par la liaison avec les réseaux de la Surface. La force militaire du général s'effriterait comme un château de sable sans l'investissement du directeur. Quant à Kosan, Cassendi avait eu besoin de son statut de membre du Conseil et de son soutien financier. Cette révérence aurait-elle encore cours après sa déchéance ?

Deux persiennes d'un bleu électrique, fichées sur un visage taillé à la serpe, le détaillaient avec gravité. Nul jugement : le général ne cherchait pas un coupable de leur déconvenue ; il voulait comprendre. Son nez aquilin se redressa, altier, et sa barbe noire soignée frémit sous une inspiration. Presque aussi haut que Kosan, le militaire pouvait se targuer d'être l'unique blanc capable d'impressionner un membre du Conseil.

Cassendi était une exception. Non natif des Ailes, le loup aux dents longues s'était hissé dans les Nuages trois décennies plus tôt lors de l'Entelechia. Son génie stratégique avait rapidement attiré l'attention du pouvoir. Il devint conseiller du sénateur Dirion, lequel accéda à la présidence quelques années plus tard et nomma Cassendi à la tête de l'état-major. Les politiques se succédaient, mais le général demeurait en place. Indéboulonnable, il fit régner un ordre irréprochable au sein des Nuages et était réputé comme celui qui murmurait aux puissants. Sous sa houlette, les querelles entre les clans furent pacifiées et Monade connut un âge d'or. Jusqu'à l'arrivée de Kengé. Ce dernier entreprit de réformer l'armée, de la refondre en une milice à son service, contre ses opposants. Cassendi avait freiné des quatre fers et fut évincé.

Après cela, le célèbre général disparut dans l'ombre... pour mieux fomenter sa sédition. Paradoxalement, c'était ce vieux renard qui avait maintenu si longtemps le système en place que les révolutionnaires avaient érigé en symbole de l'opposition.

Kosan n'était pas foncièrement convaincu de ce choix, mais il devait reconnaître le travail habile de Cassendi pour rassembler les différents courants rebelles sous un même étendard : les Traverseurs. À l'heure actuelle, ils constituaient son seul levier crédible pour réaliser ses desseins.

— Merci d'être venus. Lupin, pourriez-vous aller dire à Richter qu'il a mon accord pour la prochaine transaction sur Icos ? Je souhaiterais qu'il maximise la quantité d'armes. Nous avons besoin de refaire nos réserves, maintenant que la branche de Havane nous a rejoints.

Lupin tira une moue pincée, il n'appréciait pas d'être réduit au rang de simple coursier alors qu'il savait ce qu'il valait. Surtout s'il s'agissait d'un prétexte pour le congédier et s'entretenir seul avec Kosan. Mais l'aura d'autorité du général n'admettait pas la contradiction. D'un hochement de tête poli, il s'éclipsa.

— Je t'offre quelque chose à boire ? proposa Cassendi en lui désignant le cercle de fauteuils d'un salon improvisé.

Kosan s'y installa et songea à son verre de whisky abandonné dans ses quartiers. Il n'avait plus envie d'alcool.

— Un thé sera parfait.

La théière posée sur le bureau était encore chaude. Cassendi la rapporta sur la table basse et versa deux tasses. Il attendit que Kosan se requinque d'une gorgée avant de prendre la parole.

EntelechiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant