Acte IV, scène 2

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— Et elle s'est enfuie ?

La bouche de Kosan pendait abasourdie après qu'Hélios lui ait fait le récit de cette improbable rencontre. Le pêcheur en herbe, rentré bredouille, hocha la tête.

— Tu es sûr que tu n'as pas... ?

Kosan n'osait terminer sa question. À sa moue inquiète, Hélios le devinait assailli des mêmes doutes qui l'avaient traversé plus tôt. Il leva les yeux au ciel — enfin vers le trou dans le toit sous lequel ils avaient installé leur feu — et soupira ostensiblement.

— Je n'ai pas rêvé. Il existe vraiment des survivants dans ces ruines.

Alors un sourire — trop rare ces derniers jours — fleurit sur les lèvres de l'Aile. La nuit était tombée, mais Hélios le voyait s'étirer entre les reflets ondoyants des flammes. Leur groupe électrogène souffreteux parvenait peut-être à faire clignoter trois néons rescapés, mais autant le couper pour ne pas gaspiller inutilement le carburant. De toute façon, ils avaient besoin de chaleur et d'eau bouillie pour infuser les herbes séchées du Rat.

Leur planque collectionnait les débris de bois, si bien qu'Hélios n'éprouvait pas de scrupules à les voir se consumer dans le baril reconverti en réchaud. Il touilla le maigre bouquet aromatique dans la casserole d'eau qui ne s'assombrirait pas plus.

— C'est une bonne nouvelle ! s'enthousiasma Kosan. Nous nous doutions que des groupes parvenaient à quitter Monade ou les Nuages, mais le fait qu'ils aient trouvé un moyen de survivre offrira de l'espoir aux Traverseurs et à tous les autres déçus du système.

L'Aile parlait au futur ; Hélios peinait à l'envisager. Il retira la casserole du feu et remplit leurs timbales dépareillées.

— On verra, dit-il en tenant son infusion à Kosan. Il faudrait déjà que la petite fille ne soit pas seule, que ce groupe se laisse trouver, accepte de nous accueillir, ne soit pas hostile...

D'ailleurs, la fumée noirâtre qui s'envolait de leur terrier troué ne risquait-elle pas de leur attirer des ennuis, maintenant qu'ils se savaient entourés ? Hélios baissa les yeux sur son repas ridicule. Après quatre jours en sursis, c'était le cadet de ses soucis.

— Nous irons ensemble et si nous échouons, nous nous en tiendrons au plan initial.

Hélios fronça des sourcils inquisiteurs devant l'assurance de Kosan. Il semblait plus vaillant que lorsqu'Hélios l'avait laissé dans l'après-midi. Il était certes avachi contre son pan de mur, mais se tenait assis sans vaciller et répondait sans buter sur ses mots ; un progrès conséquent. Le malade avait troqué l'idée d'une issue fatale contre un optimisme exagéré. Ce revirement était trop soudain ou récent pour qu'Hélios s'autorise à crier victoire. Il secoua lentement la tête.

— Tu étais encore à l'agonie il y a quelques heures. Je ne pense pas qu'il soit prudent que tu te lances dans une randonnée aux premières lueurs de l'aube.

— Je vais mieux.

Tel un félin tâtant son territoire, Hélios s'approcha lestement de la silhouette amaigrie. Il posa une main soucieuse sur son front. Tiède. Loin du brasier qu'il avait couvé la veille. Le regard de l'Aile avait retrouvé son éclat de bronze et sa peau mate ne luisait plus sous son chapelet de sueur. Il s'autorisa même un rictus roublard.

— Tu me crois maintenant ?

Hélios se rétracta, boudeur au lieu de se réjouir. Il n'osait plus croire aux miracles. Il se colla à Kosan et lui tendit, à nouveau, la nourriture qu'il n'avait pas encore touchée.

— Je te croirai quand tu auras mangé.

L'Aile, habitué des mets raffinés, observa sans conviction l'eau chaude à peine aromatisée et le boucané qui tenait plus du cuir que de la viande. Sous la pression du regard d'Hélios, il céda au chantage, non sans tirer la grimace.

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