Acte V, scène 3

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Hélios relâcha sa nuque contre la paroi de métal hostile de sa prison. Une prison relativement plus confortable que les geôles de Kengé. Une chambre dépouillée de tout ornement, mais munie de l'essentiel : une couchette et une armoire arrimées pour parer aux turbulences aériennes, ainsi qu'une salle de bain privée. Quel luxe ! La pièce était large par rapport à l'idée qu'Hélios se faisait d'une cabine sur un dirigeable. Large à tel point que l'entropie avait colonisé un coin de cet espace vacant avec un empilement de caisses et de sacs en jute. À croire qu'on avait stocké le passager encombrant, ici, au même titre que ces vivres qu'on ne savait pas ranger ailleurs.

Au moins, ses amis avaient droit de visite. Edmond et Carine profitaient de la fin de leur quart pour apporter nourriture et compagnie à leur metteur en scène malchanceux. Il était si heureux de les retrouver !

Carine restait la même pile électrique, fonceuse et rêveuse ; l'acharnement du mauvais sort avait plus sûrement marqué sa jeunesse que son caractère convaincu. Edmond, en revanche, s'il conservait toute la superbe qui seyait à l'incarnation de l'héroïque Pietro Da Fiori, entretenait une sorte de retenue qu'Hélios n'était pas sûr de comprendre. Redoutait-il son œil-espion ?

Il s'efforçait de donner le change, mais Hélios l'avait suffisamment analysé sur scène pour savoir, qu'en ce moment précis, il jouait.

— T'aurais dû voir Carine quand on s'est lancé dans cette opération de sauvetage sur Niakaruu : un vrai bulldozer ! Elle n'arrêtait pas de s'écrier : « il faut faire quelque chose pour Hélios ! » On aurait dit Giacomo dans Les Mirages de l'Adda.

Hélios manqua de s'étouffer avec la tranche de pâté qu'il s'attelait à manger ; le rire d'Edmond s'interrompit au coup sec du coude de Carine entre ses côtes. Elle ne goûtait pas la comparaison. D'abord courroucée, elle s'apaisa néanmoins au regard tendre que lui rendit Edmond.

Hélios ne put retenir un froncement de sourcils : devait-il présumer d'un rapprochement entre les deux acteurs durant ces mois de cavale ? Il hésita à poser la question, mais la référence d'Edmond en avait suscité une autre, plus pressante.

— Est-ce que vous avez continué le théâtre après... ?

Il n'osait mettre les mots, mais le souvenir de cette dernière représentation catastrophique pulsait encore entre eux. Dire qu'il ne les avait plus revus depuis... Cela donnait à Hélios la sensation que ces évènements tragiques s'étaient déroulés la veille.

— Non, avoua tristement Edmond.

Après un moment de flottement, Carine se redressa, brandissant le salami comme une fronde.

— Ça suffit ces têtes d'enterrement ! Moi, j'ai noté la prochaine représentation de La Vie Sybarite dans mon calendrier : pour le jour de la victoire !

Edmond saisit la bière, qu'il avait troquée contre le pain, et la leva pour trinquer. Malgré tout, une gêne indicible persistait. L'euphorie des retrouvailles s'estompant, un climat plus sérieux s'instaura, et donna à Hélios l'occasion d'étancher ses interrogations.

— Pourquoi avez-vous rejoint les Traverseurs ? Vous êtes Nerfs de naissance, non ?

La tignasse blond flamboyant d'Edmond s'abaissa sur ses souliers. Carine avait ce regard absent : d'autres images que celle du visage attentif d'Hélios défilaient sur sa rétine. Chacun devait attendre et espérer que l'autre prenne la parole, car le silence prenait ses aises. Carine se lança :

— Moi, oui. Mes parents étaient Rotules, ils ont bataillé pour pouvoir s'installer à la Surface, alors ils m'ont transmis leur sens profond de la justice. Edmond, en revanche...

EntelechiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant