Acte II, scène 10

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Les traits de Kosan se peignirent de gravité à mesure que Marysa lui déroulait son rapport. De retour sur l'île d'Icos pour un réapprovisionnement, l'Aile avait débarqué le cœur rempli de joie à la perspective des nouvelles que l'espionne apportait de l'antre de son ennemi. Hélas, l'effroi balaya vite ses espoirs naïfs.

Droite dans ses bottes, la jeune femme ne flanchait pas, demeurait de marbre. Elle acceptait déjà son sort et Kosan s'horrifiait d'en être responsable.

— Il t'a vu ? osa-t-il dans une futile tentative de se rassurer.

— J'avais masqué mon visage, mais il m'a croisé juste avant. Et puis... j'ai crié.

— Ils feront le lien, compléta Kosan. Tu es compromise. Tu ne peux pas retourner là-bas.

La servante baissa les yeux et s'égara dans un sourire triste. Elle en était parfaitement consciente.

— Si je disparais dans la nature, ils seront assurés de ma traitrise. En revenant, j'ai une chance de dissiper les soupçons. Je travaille pour Kengé-dao depuis longtemps ; ils ont confiance en moi.

— Marysa... Tu les connais ! Tu sais qu'ils n'hésitent pas à sacrifier un innocent au premier doute.

Elle leva une main tranchante comme la lame d'un exécuteur. Les avertissements de Kosan étaient vains.

— Ma famille est sous leur coupe. Je n'ai pas le choix.

Kosan accusa le coup de sa résilience. Il ne pouvait pas la laisser partir. Devrait-il informer Cassendi ? Le général la retiendrait — même de force — craignant la perspective que l'espionne parle sous la torture. Mais emprisonner la jeune femme et mettre en danger sa famille... Ces stratégies étaient dignes de leurs ennemis.

— Ce qui est fait est fait, avança Marysa. Inutile de remuer le couteau dans la plaie. Autant que ça serve à quelque chose : j'ai appris que la chute de ton protégé n'était pas un accident. Archibald a tenté de le tuer.

Deuxième choc. Kosan en appela à toute sa maîtrise pour ne pas laisser ses jambes flancher. En revanche, son masque de gravité se fendit de stupeur ; d'horreur. Il déglutit. Il fallait reprendre pied. Dans la tempête qui tâchait de le noyer, il se hissa à l'assaut de la houle ; dans une lutte de désespoir.

— Ne peut-il pas s'agir d'un malentendu ?

Sa voix tremblante le trahissait ; dans les yeux de Marysa transparaissait une fugace pitié.

— Non. Il a été très clair sur ce point.

Il inspira, se ressaisit et souhaita bonne chance à l'espionne. Il n'avait pas l'énergie de la convaincre de rester. Ses propres démons l'assaillaient.

De sa démarche ferme, il traversa l'aérodrome plus agité qu'une fourmilière. Les Traverseurs charriaient palettes et containers vers les dirigeables ou vers les bâtiments de l'île acquise à leur cause. Ces amas de tôles précaires, rouillés par les vents humides, chatoyaient dans un camaïeu pittoresque ; à l'image des habitants de ces contrées reculées.

Les familles fondatrices de Monade, dont était issu Kosan, avaient élevé ces lopins dans le ciel pour les préserver de la pollution terrestre. Réserves biologiques, mais surtout grenier, ils nécessitaient une main-d'œuvre pour cultiver champs et vergers. C'est ainsi que ses ancêtres firent monter cette population de colons ouvriers ; blancs. Bien avant qu'existe l'Entelechia, ces immigrés remplissaient les bouches d'une noblesse occupée à régner.

Puis, les usines de la Surface sortirent de terre, la contamination fut endiguée aux frontières de la cité et les denrées s'acheminèrent pour moins d'effort par les tubes. Les îles agricoles de la périphérie tombèrent en désuétude, laissant une population métissée de longue date sur la touche.

EntelechiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant