Les yeux grands ouverts, Hélios fixait les ondulations du ciel de lit dans les fins filets d'air nocturne. La respiration régulière de Kengé lui indiquait qu'il dormait depuis de nombreuses minutes.
À présent que les effets vicieux de l'alcool se dissipaient, le Nerf ne réalisait que trop bien ce qu'il avait commis. Et au cas où il serait tenté de l'attribuer à un rêve, son corps nu sous les draps le ramenait à cette réalité tangible. Un frisson glacial l'électrisa. À pas de loup, il se leva pour aller fermer la fenêtre. Il contempla la silhouette paisible de Kengé, puis décréta qu'il ne parviendrait pas à se recoucher à ses côtés.
Il revint dans le salon et enfila ses vêtements éparpillés au sol. En pantin hagard, il erra dans les couloirs déserts à cette heure indue. Le calme de la maisonnée apaisait le tourbillon de ses pensées. Mais la solitude n'était jamais totale ici.
Un bruit discret attira son attention sur la droite. Une servante s'affairait à passer la serpillère pour que le couloir brille aux premiers rendez-vous du matin. Elle sursauta à l'irruption de ses pas. Hélios aperçut subrepticement un visage pâle constellé de rougeurs que se disputaient des épis de blés indisciplinés. Elle se détourna aussitôt qu'elle le reconnut.
Hélios non plus ne désirait pas croiser son chemin.
Il avisa une porte fenêtre sur la droite et déboucha sous un auvent habillé de vignes. L'air frais le fit frissonner ; il resserra son col et s'assit à même le sol. Ce n'était certainement pas l'emplacement le plus confortable de ce palais, mais le froid et l'obscurité de la nuit l'aideraient à calmer la tempête de ses émotions.
Il avait franchi la limite. En aucun cas il n'avait besoin d'investir son rôle jusque-là. Le regrettait-il ? Objectivement, le moment avait été plus qu'agréable. Ses joues s'empourprèrent à ce rappel. Pour autant, cette comédie ne lui avait rien apporté.
Kengé n'avait rien lâché. Pas une miette au sujet des terroristes, de ses projets à son égard, des zones d'ombre de leur passé commun. Hélios devait se ranger à l'évidence : son hôte était sincère dans ses sentiments. Et pourtant, une part pernicieuse de son inconscient lui répétait qu'il n'aurait pas dû coucher avec cet homme.
Et s'il décidait de faire taire cette méfiance, d'accepter simplement la situation ? Pourrait-il se contenter de cette vie de semi-liberté...
Clac.
Hélios sursauta et pivota en un éclair. La pâleur sélène éclairait l'objet qui venait de tomber sur sa tête. Un fin cylindre comme ceux dans lesquels Muhammad faisait circuler ses messages.
Frrr.
Là-haut, dans la vigne, un bruissement de feuilles dérangées attira son attention. En plissant les yeux, il crut discerner une silhouette à travers l'obscurité. Et elle s'échappait !
— Hey ! Attendez !
Il s'écria en vain. L'inconnu ne comptait pas s'arrêter pour un brin de causette. Hélios se rua sur la palissade végétalisée et s'aida des branches à l'affleurement pour se hisser. Il lança sa main à l'assaut du noir ; elle se referma sur un pan de tissu. Il tira de toutes ses forces et ses doigts se refermèrent sur une cheville.
Le fuyard perdit l'équilibre. Son cri aigu indiqua à Hélios qui s'agissait plus vraisemblablement d'une fuyarde. Ils chutèrent tous les deux sur les dalles de pierres de la terrasse. L'acteur, habitué des cascades sur scènes, se redressa vite. La messagère, tombée de plus haut, roula sur elle-même avec difficulté. Il ne vit pas son visage : elle avait pris soin de le masquer sous un foulard. En revanche, ses vêtements ne lui étaient pas étrangers ; ceux des domestiques. Elle laissa échapper un gémissement plaintif.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...