Acte V, scène 12

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— Hélios, Hélios, réveille-toi !

Une masse énervée lui secouait l'épaule. Il entendait, mais le rideau opaque ne voulait pas se lever ; son corps refusait de bouger. Broyés dans une poigne de poussière et de métal chauffé, ses membres répondaient aux sollicitations par les haros d'une grève générale.

Pourtant, il fallait bien quitter cette torpeur. Les hurlements lointains, le fracas des tirs et le crépitement des incendies : autant d'indices sur l'urgence de la situation. Dans un grognement peu digne, Hélios émergea.

Il pivota sans grâce sur le côté et décolla ses paupières devant un monde de flou et de fumée.

De la Mauvaise Graine, il ne restait que carcasse éventrée et enflammée. Encastré dans un bâtiment, l'aéronef avait ruiné l'ouvrage architectural. Un trou béait dans la façade de l'hacienda.

Agenouillée devant lui, Naomi contemplait les dégâts dans une sidération partagée. Son chignon peu robuste avait achevé de se défaire et ses cheveux se confondaient aux traces de suie et de sang encrouté sur ses joues pâles. Leur survie relevait du miracle.

Hélios tenta de se redresser. Ses muscles crissèrent et un liquide poisseux coula de son torse. Une estafilade le rayait en biais comme une erreur savamment raturée. À la vue du sang, son cerveau prit conscience de la douleur à rebours. Elle s'atténua — un peu — lorsqu'il constata que les dégâts n'étaient que superficiels. Les arêtes fourbes avaient échoué à l'empaler. Il devrait probablement remercier son ange gardien. S'ils s'en sortaient...

— Dans le bâtiment ! Magnez-vous !

Sven, le front maculé d'hémoglobine et les yeux exorbités de terreur, courait vers eux en hurlant. L'aéronaute ressemblait à un prisonnier en cavale, pourchassé par l'armada de ses futurs geôliers. Pour cause, pas moins de quinze miliciens tout équipés le talonnaient. Armes au clair, il ne leur faudrait que quelques secondes pour les lever et viser.

L'artilleur fila devant eux sans s'arrêter. Le soulagement de découvrir son récent camarade en vie fut vite balayé par les tirs de la division ennemie. Naomi le hissa sans se soucier de ses os en pagaille et Hélios suivit, sans trop savoir comment, le mouvement de panique vers l'abri démoli.

À travers les failles de l'hacienda, un coup d'œil en arrière lui dévoila la coupe au cordeau des haies de troènes, saccagée par les lévi-véhicules blindés qui rappliquaient en nombre. Sven venait de parquer leur petite bande de rescapés dans le hall, mais pour combien de temps ? Les courants d'air jouaient avec délectation une sonate d'affrontements à travers la demi-douzaine d'entrées.

— Vite ! Les escaliers !

Hélios ne sentit ni son corps ni l'effort pour gravir les marches. Il grimpa, tout simplement, car sa vie en dépendait. Une porte claqua, et le calme revint. Un calme tout relatif.

Au moins, la pièce ne comportait pas d'autre issue. Un salon qui aurait pu abriter quelques savoureuses réunions secrètes entre le moelleux des tapisseries et des fauteuils en velours ; aujourd'hui, il se contenterait d'une bande de crasseux cassés.

Déjà, Sven et deux types costauds poussaient une armoire en merisier pour se barricader. Un silence angoissé suivit les derniers raclements du meuble sur le parquet. Aucun bruit de bottes dans les escaliers. Soulagement. La milice devait avoir de plus gros poissons à pourchasser. Des alliés, dans tous les cas, et ça, Hélios ne voulait pas y penser.

Adossé contre le lambris, il reprit son souffle. Sa blessure suintait. Il la pressa avec sa chemise. Il n'avait rien de mieux pour la panser.

Seulement cinq autres aéronautes avaient suivi en plus de lui, Naomi et Sven. Des visages qu'Hélios avait à peine croisés, lors du bref moment de liesse après leur victoire dans la ravine. Une victoire au parfum suranné. Les traits lessivés et les plaies participaient à l'abattement général. Quand Hélios avisa un garçon — pas plus âgé que Chicot — avec un bras tordu dans un angle improbable, il songea qu'il n'était pas le plus à plaindre. Était-ce tout ce qui restait de l'équipage de la Mauvaise Graine ? L'acteur naïf espéra très fort que les autres avaient pu s'abriter ailleurs.

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