Acte III, scène 13

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Une silhouette enrubannée d'ombre émerge de l'embrasure de lumière. La voix puissante, la voix posée, elle prend ses gardes à témoin.

GIOVANNI

Que l'on fouille chaque futaille, chaque quartaut
Que l'on soulève mils tentures et ventaux
En nul lieu ces vauriens ne seront à l'abri
Nous retournerons chaque arpent de l'Italie

Les gardes approuvent et se dispersent. Le duc demeure seul.

GIOVANNI

Ce vil affront ne restera pas impuni
Sans répit je te traquerai, Da Fiori


Au réveil, Hélios réalisa avec horreur que cela faisait quarante-huit heures qu'ils stagnaient dans le refuge du Rat. Toute l'avance gagnée de rude bataille, en se frayant un chemin dans le dédale du Lisier, était désormais caduque. Les soldats devaient être en train de ratisser la zone.

Il croisa Chicot, qui partait se coucher après une ronde de nuit. Le gamin édenté lui assura n'avoir capté aucune rumeur de troubles inhabituels dans la Décharge, mais après le récit glaçant de Kosan, Hélios ne nourrissait aucun espoir que Kengé les laisse en paix. Tant qu'ils seraient à Monade, ce fumier les chasserait.

Monade...

Une idée germa en lui. Il avala un sommaire petit-déjeuner — des biscottes sèches à s'en casser les dents — et emprunta une clé à Œil Blanc. Il dut sortir pour accéder au cabanon, verrue disgracieuse accolée aux flancs de la maison. Contre la porte, Hélios s'éreinta l'épaule pour réveiller les gonds rouillés.

L'atelier de Mitraille était comme dans ses souvenirs. La poussière et la désuétude en plus. Mitraille était partie. Le récit atroce de Kosan avait exacerbé son inquiétude. Sa sœur était débrouillarde et bosseuse ; ce consortium mystérieux, Lev'Energies, l'aura sans doute embauché. Il voulait l'espérer.

Un sentiment de nostalgie l'attrapa à la gorge, alors qu'il parcourait les créations inachevées des bricoleurs. Combien de temps avait-il passé dans ce réduit, planqué pour lire, pendant que Mitraille et Crevé se chamaillaient ?

Il élagua la forêt d'outils en pagaille, puis déblaya les chutes et autres carcasses désossées du chemin. Jusqu'à un placard. Ses volets métalliques grincèrent dans un boucan du diable en coulissant.

— Qu'est-ce que tu cherches ?

Hélios sursauta.

— Ah, salut Pigment... Je cherchais ça.

Il extirpa du réduit une lourde et épaisse combinaison. Des plaques d'acier en blindaient la poitrine et des boudins de caoutchouc renforçaient les jointures.

— C'est celle de Mitraille, constata le farfouilleur en la brandissant à sa hauteur. Tu sais où est rangée celle de Crevé ?

— Qu'est-ce que tu veux foutre avec ça ?

Le fugitif s'arracha un sourire pénible.

— On ne peut pas repasser par là où nous sommes venus avec Kosan. Il ne reste qu'une seule autre sortie.

Pigment fronça les sourcils — sa mine ferait peur à un croquemort — et agita son bras valide.

— Est-ce que la Surface t'as décâblé ? T'es au courant que c'est un mythe ces histoires d'issue vers l'extérieur ?

— Pourtant, si les gens qui vont se perdre dans la Non Zone n'en reviennent pas, c'est...

— Qu'ils sont morts ! Point. Mitraille et Crevé ont plus que fouillé les bords, z'ont fini par arrêter parce qu'y a rien d'intéressant à y dénicher. Tout est souillé par cette saloperie de poisse argentée.

EntelechiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant