Hélios venait d'engloutir, sans prendre le temps de mâcher, la part de tarte froide que le Rat lui avait dégotée. Cette nourriture insipide revêtit des allures de mets raffiné pour son estomac creusé par leur cavalcade. Une fois rassasié, il ne put se montrer aussi clément avec le reste.
Il touillait distraitement le breuvage turpide que le Rat osait appeler « café ». Un coton dans la narine gauche — merci Main Lisse — lui en épargnait le fumet âcre. Chicot et Boulon avaient investi son ancienne chambre et récupéré ses affaires. Un étau avait serré sa poitrine en découvrant ses maigres possessions rangées dans un coin de placard ; il ne pensait pas qu'ils les auraient gardées. Il avait finalement mis la main sur un tee-shirt dans lequel il flottait autrefois. Son séjour à la Surface l'avait remplumé.
Le Rat tira une chaise dans un grincement pénible et s'installa, coudes sur la table. Sa mère paraissait minuscule au sein de ce capharnaüm d'ustensiles dépareillés. Les grappes de casseroles concourraient avec leurs parures de rouille, entre les bocaux de graines germées et les plantoirs à champignons. Quelques pousses de légumes vivotaient sous le halo jaunâtre de lampes horticoles. La nourriture était l'enjeu principal des habitants du Lisier. Certains jours, les collecteurs rentraient bredouilles de leurs courses dans la décharge. Pour compenser, le Rat s'attelait à rempoter, bouturer, bichonner la moindre plante, même si la terre polluée et le manque de lumière ne facilitaient pas la tâche.
Elle huma son jus de chaussette et y trempa des lèvres frémissantes de contentement. Hélios l'imita ; et tira une grimace épouvantable.
— Tu n'aimes pas mon café ?
— Il est infect.
Le Rat éclata d'un rire franc.
— Tu t'es trop habitué au luxe, là-haut.
— Faut croire, rumina-t-il en haussant les épaules.
Les yeux perçants de sa mère le dévisagèrent un long moment, comme s'ils cherchaient à décrypter l'énigmatique prodige qu'ils voyaient.
— Nous te pensions mort.
L'accusation irrita Hélios. À qui la faute s'il n'avait jamais osé revenir donner de ses nouvelles ?
— J'ai appliqué le conseil que tu as donné à Crevé quand tu l'as banni, répliqua-t-il avec acidité. Je n'ai pas remis les pieds ici.
Elle poussa un long soupir.
— Tu surinterprètes. Je ne l'ai pas « banni ». Il est vrai que j'étais en colère ce jour-là. Je me suis sentie trahie. Ce fils que j'avais élevé comme la chair de ma chair préférait aller trimer comme un forçat dans les usines pour ces pachas de la Surface. Je regrette d'avoir réagi avec virulence, mais s'il devait revenir un jour, je l'accueillerais comme je t'accueille toi.
Hélios tira une grimace, préférant s'enfermer dans un rejet borné. Quelques gorgées supplémentaires du café immonde apaisèrent son ressentiment. Ça et l'air affligé qui transperçait de sa mère.
— Ce n'est pas de l'ingratitude... C'est juste qu'il n'y avait rien de plus pour nous, ici.
Et aussitôt, le sourire narquois du Rat lui fit regretter cette douceur passagère.
— Si c'en est. Tu étais incapable de te contenter de ce que je te donnais. Tu as toujours eu la folie des grandeurs.
La bouffée de colère enfla avec l'amertume du café.
— Ce que tu nous donnais ? Tout pour nous garder ici, oui ! Nous astreindre à cette vie de merde dans ce trou sans issue ! Heureusement que je n'ai pas attendu ta permission pour partir. J'ai pu réaliser mes rêves et ce n'est pas grâce à toi.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...