Lydia laissa filtrer un indélicat soupir las, puis gigota sur l'inconfortable banc du tribunal pour soulager ses fesses endolories. Qu'importe qu'on l'entende ! L'assemblée était de toute façon clairsemée. Seuls les officiels des Renseignements assistaient à ces procès par obligation ; elle-même n'était là que parce que son rôle d'assistante du président l'obligeait à l'accompagner. Le tout-venant se contrefichait désormais des procès des Traverseurs arrêtés.
Ils devenaient bien trop communs et le verdict ne souffrait d'aucun suspens.
Quand bien même l'accusé du jour était connu comme l'ancien serviteur du traitre et tristement célèbre Kosan Manqa, cela ne restait qu'un individu parmi une colonie de cloportes coriaces.
Coupez une tête à l'hydre et il en repoussera deux nouvelles.
Elle jeta un coup d'œil discret à Kengé. Le président se tenait droit et digne, comme en toutes circonstances. À croire que l'énumération des chefs d'accusation habituels le captivait. Même la voix terne du procureur peinait à insuffler un sentiment d'implication dans son travail. Le président devait étrangement être le seul à témoigner d'un semblant de considération pour le malheureux rouquin sur le banc des accusés.
Lydia se demandait tout de même pourquoi il s'obstinait à assister à ces procès. La question dépasserait ses prérogatives d'assistante. Alors, elle lutta pour ne pas fermer les yeux, tandis que la monotonie s'installait.
Un grand fracas la tira de sa somnolence. À vrai dire, le bruit d'une porte claquée ne devrait rien avoir d'extraordinaire, mais sa façon de résonner entre les colonnades marbrées du palais de justice la fit frissonner d'une inexplicable appréhension.
Un contingent de membres du Renseignement — peu discrets avec leur costume d'un noir profond — se planta dans son angle de vue et s'efforça d'attirer l'attention du président. Kengé se leva et Lydia put enfin dégourdir ses jambes en trottant dans son sillage.
Elle accueillait avec soulagement cette interruption, même si les airs graves des messagers annonçaient une nouvelle charge de travail.
— On nous a signalé des mouvements suspects à la Surface, commença le colosse de droite à l'expression indéchiffrable derrière ses ridicules lunettes fumées.
Kengé conduisit le petit attroupement dans le repli des pilastres, afin de ne pas perturber cette pantomime de procès. Il agita sa couronne de tresses et ses étoffes comme pour délasser, lui aussi, sa nuque ankylosée.
— Quel genre de mouvements ?
— La police se charge d'évacuer les habitants vers les niveaux inférieurs.
— De quoi s'agit-il ?
— Nous n'avons pas encore pu le déterminer.
— Vous n'avez pas contacté le préfet ?
— Bien sûr que si, mais personne ne répond. Nos experts décortiquent le réseau de l'Œil pour comprendre de quoi il retourne.
Kengé tira une moue mécontente. Lydia savait qu'il détestait voir des informations passer sous ses radars à peu près autant que le crissement d'une craie sur un tableau noir.
Dans la salle d'audience, la litanie du procureur avait cédé au court plaidoyer de la défense. Le juge, assez clément pour abréger les souffrances de l'assemblée, abattit son marteau contre le socle et annonça la sentence attendue. Une tignasse rousse se renfonça dans son box, tel un animal rétif devant le couteau du boucher. Les gardes s'avancèrent pour saisir le déclaré coupable, puis se figèrent en plein élan.
Les portes du tribunal valsèrent, des bottes martelèrent le marbre dans une précipitation alarmante. En tête de la déferlante, Lydia reconnut Mahoru, le chef des Renseignements en personne. Pour qu'il en vienne à déranger un procès — même sans intérêt — les nouvelles ne devaient pas être enthousiasmantes. L'assistante se mordit l'intérieur de la joue ; Mahoru avait avalé son sourire, et de travers, si l'on croyait sa grimace.
L'oiseau de mauvais augure se pencha vers le président. L'annonce se voulait confidentielle, mais toute l'assemblée s'était tue et tendait l'oreille.
— Il y a eu une explosion sur Nwasola, une île de la bordure, chuchota Mahoru. Cela viendrait du réacteur. Elle s'est écrasée.
Lydia sentit ses jambes se dérober, comme si le sol s'effritait et tombait sous ses pieds. Les mots étaient clairs, mais leur sens, leur implication ne perçaient pas son esprit. Une île écrasée ? Comme ça ? Était-ce seulement possible ? Elle aurait éclaté d'un rire nerveux si l'air n'avait pas manqué dans sa poitrine. Au lieu de ça, un hoquet inconvenant s'échappa de sa bouche. Personne ne la remarqua. La sidération occupait les esprits.
Ceux qui avaient entendu répétèrent à leur voisin pour s'assurer que leur ouïe ne leur jouait pas des tours. Bientôt, un bourdonnement glaçant envahit la salle. Lydia aurait aimé que la comédie s'arrête là, mais une nouvelle troupe des Renseignements débarqua au galop.
Plus de retenue, cette fois, l'un des agents cria, paniqué, oubliant toute prudence protocolaire.
— Une deuxième île est tombée ! Asouwa, sur la périphérie !
Le vent de panique ravagea la salle d'audience et gonfla une tornade d'Ailes caquetant de terreur. La cohue cahotait sens dessus dessous ; les gens voulaient fuir, mais fuir où ? Que se passait-il ? Quelle serait la prochaine cible ?
Lydia releva un regard de détresse sur son patron. Il était le président. Il saurait quoi faire, il saurait les rassurer.
Kengé resta de marbre.
Malgré l'assistance pendue à ses lèvres, le président ne bougeait pas, ne parlait pas, ne réagissait pas. Aucune humeur ne dérangeait ses traits. Le choc avait-il frappé son esprit comme la foudre au point de l'immobiliser dans cette torpeur ?
Mahoru dut outrepasser toute forme de protocole et secoua l'épaule du vénéré maître de Monade.
— Kengé-dao, Kengé-dao, nous faisons face à plusieurs attaques terroristes. Quels sont vos ordres ?
Le temps sembla s'écouler au ralenti au sein du conciliabule. En dehors, la frénésie poursuivait son œuvre de dévastation des lieux. Plus personne ne se souciait du condamné à mort. D'ailleurs, il n'était plus dans son box. On l'avait peut-être emmené ; peut-être pas.
Lydia ne s'en souciait pas, comme tout le monde, elle attendait. Le président papillonna des paupières et parla enfin. D'une voix lasse et peu combative.
— Faites évacuer les îles.
Et cefut tout. Il avait visiblement pesé le pour et le contre, et conclut que lesAiles ne s'en sortiraient pas sans y laisser des plumes.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...