Acte IV, scène 5

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Le soleil imprima sa chaleur sur sa peau et le vent ballota ses boucles noires devenues trop longues. La pluie de la nuit avait tracé sillons et flaques dans la terre battue du village. Le village... Plutôt un amas de cabanes rustiques, de tipis et huttes en paille. Pour Hélios, habitué à l'obscurité du Lisier et aux immeubles interminables de la Surface, le contraste était saisissant. L'ensemble ne manquait néanmoins pas de charme ! Des arbres nappaient d'ombre les bâtisses, de nombreux champs et potagers couraient derrière jusqu'à l'orée d'une forêt. Hélios aperçut même quelques chèvres et entendit des caquètements de poules. Des fleurs grimpaient le long des charpentes : liseron et hibiscus, un ballet de rose et de blanc.

Hélios ferma les yeux et emplit ses poumons d'un air frais, pour s'emparer de la sérénité des lieux. Sérénité que rompirent les cris des enfants, probablement ceux qui jouaient depuis tout à l'heure. Il tourna la tête et reconnut l'adolescente qui l'avait à la fois attaqué et sauvé près de la piscine radioactive. En proie à un combat épique avec un garçon à peine plus jeune, elle s'imposait, le coude serré autour du cou de sa malheureuse victime.

Les duellistes se figèrent dans cette posture improbable dès qu'ils aperçurent Hélios. Les yeux ouverts de stupeur. Puis ils prirent la poudre d'escampette. Les gamins disparurent derrière la façade d'une cahute peinte de dessins naïfs. L'invité soupira. Même si Yandé lui avait semblé accueillante, il lui faudrait quand même légitimer sa place au sein de la communauté. Du moins, s'il choisissait de rester.

Il chercha le kiosque dont lui avait parlé leur hôte et le trouva sans mal. Simple toit soutenu d'une demi-douzaine de piliers. Au moins cinq personnes s'affairaient sur les ateliers de taille ou de ponçage du bois ; Mitraille parmi elles.

Il n'avait pas pu l'observer la nuit dernière. Constater les changements lui fit un choc : la carrure maigrelette et pâlotte avait forci avec le soleil et le labeur. Ses cheveux châtains perpétuellement rêches et ébouriffés se trouvaient désormais disciplinés sous un châle et ses yeux autrefois vifs brillaient de fatigue et de résilience. L'évolution majeure était interne. Mitraille avait grandi. Elle était devenue adulte en deux ans.

En revanche, ses sourcils se fronçaient et ses lèvres se plissaient toujours dans cette concentration si caractéristique, dès lors qu'elle se perdait dans le bricolage. Mitraille, sans une ample salopette tachée ou un outil en main, n'était plus Mitraille. Dévouée à l'assemblage d'une chaise, elle ne remarqua Hélios s'approcher que lorsqu'il se fut planté devant elle.

Un sourire solaire s'élargit sur son visage quand elle releva la tête.

— Oh, Suie ! Tu vas mieux ? T'as pu te reposer ?

Hélios croisa ses mains dans le dos et détourna le regard, penaud. Mitraille avait toujours été plus solide que lui et il en avait toujours entretenu un complexe.

— Oui, merci infiniment pour ton aide. Je ne sais pas si Kosan aurait pu survivre sans les soins de Yandé.

— Bah, c'est normal. T'aurais fait la même chose pour moi !

Un couteau enfoncé dans une plaie n'aurait pas fait plus mal.

Hélios remarqua que son arrivée avait interrompu le fracas des outils ; les menuisiers s'octroyaient une pause pour le dévisager avec défiance. Mitraille le présenta comme son frère et leur réserve s'évanouit. Un défilé d'accolades lui souhaita la bienvenue et l'acteur cacha son malaise sous un sourire de façade.

— Je ne veux pas vous interrompre. Je venais plutôt proposer mon aide.

Malgré le ton sérieux de la demande, Mitraille éclata de rire.

— Toi ? Avec un marteau et des clous ? Combien de fois je t'ai emmené voir Couture parce que tu t'étais blessé en voulant m'aider ?

Il se rembrunit, vexé. Certes, il reconnaissait volontiers qu'il n'avait jamais été un grand manuel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il ne s'était jamais senti à sa place en bas. Ensuite, l'allusion de sa sœur invoqua d'autres souvenirs, plus frais et plus douloureux.

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