Acte III, scène 4

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Hélios émergea au son des gémissements plaintifs de son vis-à-vis. L'inconfort de la chaise n'avait pas vraiment soulagé ses muscles courbaturés et il récoltait, en prime, un torticolis. Au moins était-il reposé, et dans un état plus enviable que Kosan.

L'Aile avait la gorge parcheminée et le ventre qui criait famine. Si Hélios put apaiser la première avec un verre d'eau, Pile préférait ne pas risquer de le nourrir si vite après avoir trituré ses boyaux la veille. La doctoresse lui administra un nouveau cocktail d'antibiotiques et analgésiques ; Kosan retourna faire un tour au pays des songes.

L'ex-Sans Nom s'inquiéta et s'étonna de voir sa petite sœur dilapider de précieuses ressources médicinales. Elle éventa sa question d'un revers de main oublieux. Les médicaments étaient quasiment périmés, de plus, Trotteur avait découvert une évacuation directe du Cartilage qui recrachait ces denrées à intervalles réguliers. Mentait-elle pour lui cacher une aggravation de l'état de Kosan ?

Hélios opta pour la confiance et remisa sa culpabilité. Il ne gagnerait rien à se ronger les sangs en traînant à l'infirmerie. Après avoir avalé un petit-déjeuner, il profita de l'absence de Main Lisse, parti en collecte, pour faire le tour du propriétaire et retrouver ceux qu'il n'avait pu croiser hier. Certains adelphes accueillirent son retour avec une émouvante bienveillance, d'autres restaient sur la réserve. Ça se voyait qu'il avait changé. Suie n'était plus Suie.

On lui demanda évidemment ce qu'il avait fabriqué là-haut, et surtout, pourquoi il était redescendu. Hélios leur vendit un récit fabulé et édulcoré. Les sous-sols les gardaient des conflits des Nuages, autant ne pas les apporter. En revanche, il aurait aimé les avertir des menaces à ses trousses, ne serait-ce que pour les préparer à l'éventualité d'une attaque. Le Rat avait exigé qu'il les taise ; elle ne voulait pas alarmer ses enfants. Et quelque part, cela arrangeait la lâcheté d'Hélios.

Il espérait repartir au plus tôt.

Bien vite, on lui trouva des occupations. On ne restait jamais oisif dans le Lisier. Il récolta et nettoya des patates avec Pelure, aida Œil Blanc à rapiécer des vêtements, puis alla filer un coup de main à Pigment pour réparer la clôture.

— Ces saletés de wafa lâcheront jamais l'affaire ! grommela son frère bossu en réarmant un piège. Ces foutus pilleurs junkies attaquent presque chaque semaine, maintenant. La dernière fois, ils ont même réussi à percer un trou et à s'introduire. J'te dis pas l'état des plantations ! Vandales, en plus d'être parasites !

Hélios l'écoutait distraitement en bataillant avec son marteau pour clouer quelques planches supplémentaires. Il balada un œil en direction du piteux potager qui agonisait sous quelques lampes blafardes. Les tuteurs penchaient dans toutes les directions possibles, les feuilles flétrissaient plus vite qu'on ne les arrosait et les navets tiraient grise mine sous une pellicule de terre noirâtre. Certains, arrachés, avaient laissé des trous disgracieux dans la rangée.

— Avant, on arrivait à faire fuir ces voleurs, Main Lisse et moi, mais on leur fait plus assez peur.

Hélios baissa la tête vers la gadoue. Avec Mitraille dans les parages, les wafa n'auraient jamais risqué des attaques aussi intrépides. Sa sœur n'avait pas son pareil pour la bagarre.

— Mitraille a dit quelque chose avant de partir ?

Pourquoi posait-il la question ? Pigment haussa les épaules avec une fausse indifférence.

— À ton avis ?

— Je sèche.

Non, il savait très bien.

—Elle t'appréciait un peu trop, s'tu vois ce que j'veux dire, soupira Pigment. Elle espérait sans doute te retrouver là-haut.

Hélios baissa la tête. Le silence pesa. Un bruit de pas lui épargna le calvaire d'une réponse. Soulagement de courte durée : Main Lisse venait pour lui.

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