Acte V, scène 11

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Hélios n'en pouvait plus.

Il recomptait les dalles du faux plafond pour la quatorzième fois. Quatorze carrés parfaits et deux tronqués par une gaine de ventilation. C'était à se rendre fou.

Cela ne faisait pourtant que quelques heures qu'on l'avait chassé de sa prison sur le Quetzal pour le ramener au sein de la Mauvaise Graine. Le dirigeable de la petite troupe de théâtre aurait dû s'avérer plus agréable.

S'il n'avait pas été aussi inquiet.

La cabine que lui avaient cédée Carine et Edmond exhalait une odeur de jasmin. Il aurait voulu y humer un parfum de changement, un parfum de liberté... L'anxiété rongeait tout.

Quelque chose se préparait. Quelque chose dont on le tenait à l'écart depuis une semaine. Quelque chose de sérieux qui suintait des sourires tourmentés de Kosan. Oh bien sûr, l'Aile n'avait pas son pareil pour la dissimulation. Une carrière de politicien valait bien tous les jeux d'acteurs du Givre d'Or. Mais Hélios savait lire entre les lignes.

Quel qu'ait été le dilemme de Kosan, décision avait été prise. Une décision parsemée de regrets et dont les conséquences se révèleraient aujourd'hui, s'il en croyait le départ de sa troupe et les adieux pénibles de Kosan. Il n'avait pas eu besoin de les prononcer. Sa façon de l'embrasser d'une ardeur redoublée, son étreinte plus étouffante que d'ordinaire... Tout criait au grabuge à venir, et cette idiote d'Aile comptait y participer. Sans lui.

Hélios n'avait même pas cherché à le retenir. À quoi bon rendre plus difficile une situation qui lui échappait ?

Mieux valait lâcher prise que ruminer son impuissance. Alors, il ferma les yeux. Ses pensées divaguaient vers sa famille, ses camarades du Givre d'Or... Pourvu qu'ils soient à l'abri des turbulences à venir. Les cahots tranquilles du dirigeable berçaient sa carcasse étalée sur la bannette.

Jusqu'à ce qu'une secousse manque de le désarçonner.

Il leva d'un bond. Juste à temps pour assister à un spectacle qu'il aurait mieux valu ne jamais voir.

Une île. Une île venait d'exploser. Comme ça. Comme un vulgaire pétard.

La déflagration transforma le ciel matinal en un crépuscule sanglant. La suite survint dans une implacable logique : la motte de terre chut. Et s'écrasa. Un incendie gargantuesque s'éleva. Une bouche béante dévorait Monade.

Hélios s'effondra, trahi par les fondations flageolantes de ses jambes.

Tout était clair, maintenant. D'une effroyable, épouvantable et abdominale limpidité. Ce n'était pas un accident. Les Traverseurs l'avaient provoqué, et Hélios y avait consenti. Les paroles de Kosan revenaient le heurter avec la violence d'un coup de poignard : « Même si le prix à payer est cruellement élevé ? »

Non, non, non, c'était injuste ! Jamais il n'aurait cautionné ça ! Et pourtant, il avait donné son blanc-seing. Ne s'était-il pas pris à rêver, parfois, de ces titanesques méduses d'acier se fracassant à terre ? Juste pour voir si ces Ailes, qui ne daignaient jamais regagner terre, savaient voler ? Un vœu idiot, et une réalité avec laquelle il lui faudrait composer.

Il s'était dit prêt à tout pour que le monde change ? Soit. À lui d'assumer.

Les jambes encore frêles, il se hissa le long du mur, s'accrocha à la plinthe pour ne pas valdinguer alors que l'aéronef intensifiait son rodéo dans le panache noirâtre. Tâtonnant la paroi, il se dirigea vers l'armoire où dormait le fusil court de Lupin ; celui que le directeur avait confié à Kosan et dont Hélios avait pris la charge. Il avait bien tenté de le rendre à son propriétaire initial, mais Lupin avait rétorqué, dans un demi-sourire et un geste nonchalant, que le Nerf en cavale pourrait encore en avoir besoin.

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