Dès que les ténèbres eurent fini de les engloutir, Hélios sentit les langues de pestilence lui souhaiter la bienvenue. Le fils prodigue rentrait à la maison.
Le Lisier, la Fosse, l'Impasse, la Décharge... Ses nombreux sobriquets fluctuaient selon les communautés qui peuplaient cette zone abandonnée, absoute de toute autorité, jusqu'à celer son existence. Un mythe pour ceux d'en haut, un refuge pour les délaissés de Monade. Là où s'achevait le cycle des produits consommés à la Surface, une nouvelle faune s'ébaudissait.
Nul besoin de carte : comme ces oiseaux qui retrouvent le chemin du nid après un long voyage, Hélios savait où aller. Et si Kosan s'était inquiété des poursuites, l'environnement inhospitalier le rassura bien vite. L'obscurité régnait. Quelques errants avaient même délaissé la vue au profit d'autres sens ; un talent que le Nerf avait à l'inverse perdu après un séjour prolongé au soleil.
Cela ne l'empêchait pas de suivre sans hésitation les parcours tracés aux loupiotes par les charognards entre les immondes montagnes mouvantes. De temps à autre, un halo éblouissait leur chemin sur une tribu de junkies qui ne leur adressaient pas la moindre attention, pris dans leur transe. Oubliant ses scrupules, l'acteur déroba une lanterne au sein d'un cercle léthargique.
— C'était quoi cette pièce dont tu t'es séparé ? demanda Hélios une fois que la lumière éclaira le visage fatigué de son complice.
Il engageait la conversation pour tromper la frayeur qui s'instillait à chaque pas vers son but.
— Mon insigne de conseiller. On est censé le restituer en quittant ses fonctions, mais je n'en ai pas eu l'occasion, ironisa-t-il dans un filet de voix suivi d'une quinte de toux.
La moiteur toxique qui saturait l'air ne se montrait pas clémente envers les poumons délicats d'une Aile. D'après son horloge interne défectueuse, Hélios estimait que leur balade durait depuis une poignée d'heures. Combien de temps un Surfacien pouvait-il errer dans ce cloaque avant de se rendre malade ? Kosan tenait à peine debout et son corps brûlant trahissait des signes de fièvre. Pourvu qu'ils trouvent Couture...
— Je suis désolé, lâcha Hélios.
— De ?
— De ta blessure, de cette virée touristique dans les immondices, de ta place perdue au Conseil...
— Tu n'y es pour rien.
— Est-ce que ce serait arrivé sans moi ?
L'acteur crut discerner l'éclat de l'émail poindre entre ses lèvres.
— Je ne regrette rien. Sauf peut-être que tu aies oublié.
Hélios tira une grimace qui se fondit dans la pénombre. Il n'aimait pas la rancœur qui transpirait de son ton. Il se souvenait des derniers mots de Kosan sur l'île du sénateur : « tu as choisi d'oublier. » Comme s'il avait eu le choix... comme si Kengé lui avait laissé le choix !
— J'avais sans doute de bonnes raisons de partir. Sais-tu seulement que...
Le sifflement d'un carreau les coupa net. Fiché dans la mélasse à moins d'un demi-mètre devant eux, le projectile valait pour avertissement : osez avancer et finissez embrochés.
Le natif du Lisier détailla l'empennage, releva les yeux et les plissa dans la noirceur.
— Chicot, c'est toi ?
Le bruit d'une pile de ferraille qui s'écroulait résonna. Aucune présence ne se montra.
— Nous venons voir le Rat, nous ne sommes pas des ennemis.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...