Acte V, scène 7

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Dans les soubassements de l'île, le brouhaha étouffé de l'activité transformait sa tête en cloche. Jane Aster veillait du haut de sa passerelle aux allées et venues des ouvriers. Sous ses pieds, les chariots transbordaient ribambelles de caisses.

Un fracas éclata et sonna le gong dans sa caboche. Un lourd paquetage cerclé d'acier et de triangles d'avertissements s'échappa de mains tremblantes.

L'ingénieure nouvellement promue délaissa sa vigie et se précipita pour évaluer les dégâts.

— P-pardon ! La poignée a glissé, bredouilla le fautif en guise d'excuses malhabiles.

Stephan. Un malheureux Rotule recruté au travail sur les réacteurs par le biais de l'Entelechia. Il y a une semaine à peine. Il n'avait pas encore effectué d'intervention sur le cœur en fusion, aujourd'hui serait son baptême. Jane comprenait l'angoisse : elle avait été à sa place, il n'y a pas si longtemps.

L'ouvrière avait finalement avait choisi de rester après l'Entelechia. La totalité de l'argent était revenue à son jeune frère, et un meilleur poste, plus sécurisé, avait récompensé ses bons et loyaux efforts. Ce n'était pourtant pas ce qui l'avait poussée à rester.

Monade avait besoin de gens comme elles. De gens qui comprenaient que le bien commun dépassait leurs petites aspirations égoïstes.

Sans réacteurs, pas d'énergie. Sans énergie, plus de Monade. Et si les faire fonctionner nécessitait quelques sacrifices, alors elle y consentait. Pour que son frère puisse vivre en bas sans se soucier de ce qui se tramait en haut, pour que ce qui restait de l'humanité prospère.

Jane avait mis de côté ses rêves de petit appartement à la Surface. Qu'aurait-elle fait de mieux en bas, de toute façon ? Ici, elle était utile. Ici, elle œuvrait à ce que le système tourne dans les meilleures conditions possibles.

Stephan guettait le verdict avec appréhension. Jane ouvrit la caisse et inspecta attentivement le stabilisateur aéraulique qui devait être changé lors de cette maintenance. Un détail attira son attention.

— C'est quoi ça ? On dirait que le sceau de qualité est endommagé.

— Sûrement le transport. Remballez ça et installez l'étui sur le rail d'introduction, intervint une voix impérieuse dans le dos de la jeune femme.

Elle reconnut Idris Oumane avant de faire volte-face. Son supérieur toisait la scène d'une humeur agacée et pressée : ils avaient pris du retard. Cette maintenance allait leur faire rater la pause déjeuner s'il fallait encore chipoter sur l'état des pièces livrées.

Jane inspira et chargea ses poumons de toute la diplomatie compassée dont elle savait faire montre avec les Ailes.

— Êtes-vous certain, Oumane-dao ? Si l'hélice du stabilisateur a le moindre défaut, cela pourrait compromettre l'intégrité du... ?

— Et que voulez-vous faire, Aster ? Renvoyer le colis pour un bête accroc sur l'emballage ? Cela retarderait la maintenance de plusieurs semaines et les tubes de refroidissements ne peuvent pas attendre.

— Les tubes seront changés aujourd'hui, comme prévu, mais pour le stabilisateur, il suffira de prévoir une nouvelle intervention plus tard.

— Et envoyer au charbon les manutentionnaires deux fois au lieu d'une ? Je suis sûr que vos camarades seront ravis d'apprendre qu'ils recevront double ration de rayons ionisants. Le stabilisateur n'a aucun problème, asséna-t-il d'une voix plus basse et sans équivoque.

Jane ravala son soupir : le chef avait parlé. Elle emboîta le pas à son équipe et assista la mise en place des pièces détachées dans la zone de transfert, pendant que les intervenants s'équipaient dans le sas. Elle passa en revue, une dernière fois, les instructions et gestes de sécurité. Ils avaient déjà répété la manœuvre — plutôt deux fois qu'une — sur des copies de réacteurs sans lévitorium. Cela n'avait rien de sorcier — elle avait supervisé la formation en une journée —, mais le moindre écart pouvait être dévastateur.

EntelechiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant