Le tube le martyrisait au point de souhaiter l'évanouissement. Les parois l'agressaient, plus brutales qu'un gang de boxeurs, et la gravité le tirait vers des abysses voraces. À chaque dénivelé qui l'arrachait du cylindre métallique, il guettait le choc d'un atterrissage chaotique. Son corps fracassé, le cirque reprenait. Il n'était qu'une piètre miette à la merci d'un bourreau sans âme.
Si Hélios avait tenté de freiner sa chute au départ, il renonça vite. Les aspérités qui jonchaient le parcours ne feraient qu'arracher ce qui restait de son intégrité physique. La main de Kosan s'était évanouie dans le néant et il ne voulait pas penser à l'état dans lequel il le retrouverait. Il ne voulait plus penser à rien.
Le heurt final : sa carcasse plongea dans une mer trouble. Une mer d'immondices visqueuse et viciée. Il glana ces quelques secondes de répit dans ce doux écrin de déchets. Ne plus le quitter. Bouger ? Pour quoi faire ? Il pourrait simplement se laisser couler...
On le tira. La douleur se réveilla en flèche. On aurait dit qu'un chamane insensible avait jeté ses os dans un sac pour les broyer. Lorsqu'un air frais frappa son visage, Hélios réalisa qu'il n'avait pas respiré depuis un moment. Ses poumons crachèrent en protestation et ses côtes se plaignirent de cette maltraitance.
Il grogna et ses tortionnaires le lâchèrent. Il ouvrit les yeux sur deux paires inquisitrices ; un garçon et une fille d'à peine l'âge qu'il avait en quittant le Lisier. Hélios voulut se hisser sur ses coudes, mais abdiqua vite devant l'ampleur de l'épreuve.
— Waouh... V-vous v'nez d'en haut ? interrogea la bouille blonde tachée de noir.
— T'es bête, Vlad ! Il est blanc. C'est l'autre qui vient des îles.
— Ah ouais ? Alors dis-moi d'où il est tombé, toi qu'es si maline !
— Au lieu de jacasser, apportez-moi de la bistouille et des tissus !
Hélios s'efforça de tourner la tête vers la troisième voix qui avait interrompu la dispute. Un homme épais comme un fût de chêne était penché sur une masse sombre, fondue dans ce sol souillé.
— Kosan !
Oubliant les cris d'alarme de ses muscles, Hélios se redressa dans un sursaut et rampa jusqu'à la silhouette de l'Aile ; inanimée.
— Il est pas mort, mais c'est tout comme, l'informa leur « sauveur » d'une voix sans émotion. Tu f'rais mieux de filer avant que le contremaître vienne voir le grabuge que v'avez fait. On s'débarrassera du corps.
Hélios le dévisagea avec l'air ahuri d'une tuile frappée par la foudre. Le Talon — parce que son profil tous en angles et ses yeux en lames de rasoir le laissaient supposer — hocha la tête avec désapprobation.
— Au cas où tu saurais pas, les médecins courent pas les rues ici, ajouta-t-il pour enfoncer le clou.
Sous eux, un geignement retrouva le chemin de la vie dans la poitrine de Kosan. Il enflamma Hélios d'espoir et l'ouvrier de contrariété.
— Zora, retiens Fresnel s'il pointe son museau de fouine ! héla le Talon.
L'interpellée fila à travers une porte coulissante aux allures de couperet rouillé. Hélios avait entendu parler de la solidarité qui cimente ces prolétaires, mais s'étonnait malgré tout de la voir à l'œuvre. Le Nerf déchu prit conscience de leur environnement : un barda de tapis, de presses grinçantes et de silhouettes aux épais gants troués. Une odeur qui ne trompait pas saturait l'atmosphère des effluves décantés de matières en décomposition. Au loin, le ronronnement d'incinérateurs transformait la zone en fournaise. Pourtant, Kosan tremblait, transi de froid sous lui.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...