Acte II, scène 13

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Hélios accusa les paroles de Muhammad, moins choqué qu'il ne l'aurait cru. Finalement, l'homme se révélait — sans surprise — n'avoir jamais été son allié. En revanche, la réaction de Kengé l'étonna davantage. Il lâcha un long soupir ; déçu.

— Et alors ? Il fallait le laisser s'échapper.

— Pour quoi faire ? L'espionne nous dira où ils sont.

— Et si elle ne parle pas ?

— Elle parlera. Ils parlent toujours.

Le président croisa les bras. Hiératique, il dardait un regard courroucé sur son sbire. Figé sur sa chaise, Hélios n'osait se tourner vers son geôlier, mais il dégageait une assurance inébranlable. Muhammad n'était visiblement pas qu'un simple sous-fifre pour ne pas trembler devant la stature du pouvoir. Kengé articula chaque mot de sa réponse.

— Il n'empêche qu'il aurait été plus profitable de cueillir les Traverseurs sur notre terrain, plutôt que d'aller les traquer sur ces îlots paumés du dernier cercle.

— Je n'ai aucune envie de déployer des ressources et de l'énergie à filer ce Sans Nom ! Et vous vous fourrez le doigt dans l'œil si vous imaginez que ces terroristes risqueraient leurs hommes pour en récupérer un seul.

La tête ornée de tresses se pencha, le tintement délicat de ses perles éventa la hargne de l'intendant.

— Tu ne connais pas Kosan comme je le connais. Cet idiot se serait précipité pour lui.

Son regard prédateur s'accrocha sur Hélios qui ne put s'empêcher de frémir. Il repensa à cette rencontre aux Alpines, cette connexion irrémédiable qu'il avait perçue entre Kosan et lui. L'Aile tenait-il à lui au point de risquer sa vie dans un piège évident ? Mais pourquoi ne lui avoir rien dit ? À propos d'eux, de Kengé ?

— Sauf que c'est Cassendi qui prend les décisions et le général n'est sûrement pas un imbécile.

— Il y aurait toujours eu quelques électrons libres pour suivre Manqa dans sa folie. D'aucuns y voient l'incarnation de ces héros de tragédie dont ils raffolent en bas. La passion est un puissant moteur pour rallier des soutiens.

Les dents serrées, Hélios n'en pouvait plus de cette joute qui l'excluait. Sa rage bouillonnait et explosait de se voir réduit à l'état de vulgaire marionnette entre les mains des puissants. Dire qu'on lui avait laissé un nombre effarant d'occasions ! Toutes ces fois où Kengé avait tenu à l'entraîner dans ses escapades sur des îles privées. Il s'était retrouvé livré à lui-même et, comme un brave chien attendant le retour de son maître, n'avait pas bougé d'un cil. Alors que ces bâtards espéraient précisément qu'il s'enfuie !

L'acteur comprenait le jeu du serpent trop tard. Soit il parvenait à le séduire et à le convaincre de les mener aux Traverseurs, soit il s'échappait et les conduisait au même résultat. Mais que se passait-il dans l'entre-deux ?

— Vous délirez ! cracha Hélios. Même si j'avais saisi les opportunités de m'enfuir, jamais je n'aurais contacté les Traverseurs en suspectant d'être suivi !

— Oh ! Mais tu n'en aurais rien su. Nous n'avons nullement besoin de te suivre pour savoir où tu te caches.

Le rictus de Kengé était insupportable. Par chance, il s'en retourna à sa console et lui en épargna la vue. Ce ne fut que pour le noyer dans de nouveaux tourments.

Il régla quelques molettes sur le panneau de l'appareil chromé et le voile de liquide argenté s'éleva, puis projeta des images aussi troublantes que familières.

« — Mon Dieu, mais oui ! Tu es ce Sans Nom que Manqa m'a ravi à la chasse. Mais que fabriques-tu ici ? Je te croyais redescendu.

— C'est le cas. Puis, je suis remonté. Je ne me souviens pas de vous... »

EntelechiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant