Acte IV, scène 1

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Une nappe de poussière en suspension étreignit ses poumons dès qu'Hélios pénétra dans le bâtiment. Par réflexe, il toussa.

— Hélios, c'est toi ?

Qui veux-tu que ce soit d'autre ? Mais le Nerf n'avait ni la force ni l'envie d'user de sarcasme. Pas dans l'état où se trouvait Kosan.

L'Aile était penchée — ou plutôt écroulée comme les vestiges des immeubles alentour — sur sa table. Le bazar de câbles et de composants décortiqués en disait long sur ses tentatives ratées de réparer son émetteur. Heureusement que l'apprenti bricoleur avait rassuré Hélios sur le fait que cette carcasse métallique ne contenait pas de lévitorium.

« La radio est une vieille technologie, avait-il expliqué, bien antérieure à la chute de la météorite. Les militaires en ont conservé l'usage, mais elle a été bannie du reste du Monade pour empêcher les différentes strates de communiquer entre elles. Les Traverseurs s'en servent depuis que les transfuges de l'armée les ont rejoints avec Cassendi. »

Lévitorium ou non dans ce fichu appareil, cela n'aurait rien changé pour Kosan.

Il était malade.

Hélios l'avait suivi à l'aveugle pendant des heures après leur sortie du tunnel. Il avait senti l'air frais cogner ses joues. La tentation d'ouvrir les yeux et de s'emparer de ce panorama nouveau avait serré sa gorge. Lorsque Kosan lui avait enfin donné l'autorisation de voir, la nuit tombait.

Plus surprenant, Hélios avait constaté qu'il se trouvait dans un bâtiment désert. Le bitume à nu s'effritait comme du papier trop sec, laissant paraître des jours béants dans son corps, mais le toit tenait encore. Impossible de savoir à quoi avait pu servir le lieu, mais son usage originel avait sans doute été déjà détourné : ils trouvèrent une improbable accumulation d'objets dans les soubassements ; des matelas rongés de mites et quelques jerricans d'eau trouble à l'étage. Un refuge pour d'autres exilés ?

Mais les traces d'occupation étaient anciennes. Ils étaient seuls dans cette ville fantôme. Kosan avait prévu de partir l'explorer. Avec un peu de chance, il resterait quelques ressources...

Puis Kosan rendit son maigre repas. Et les suivants.

Hélios ne voulut pas céder à l'inquiétude — probablement les conséquences de sa chirurgie effectuée en catastrophe —, mais les médicaments de Pile n'arrangeaient rien. Des plaques rouges fleurirent sur sa peau devenue cireuse, sa tête bourdonnait d'un mal épouvantable, qui le foudroyait de vertiges dès qu'il avait le malheur de se lever.

Hélios avait pourtant examiné les combinaisons de Mitraille avec soin : en y regardant de près, il leur trouvait quelques défauts minimes, mais l'usure avait bien plus saccagé la sienne que celle de Kosan.

Alors, pourquoi dépérissait-il quand lui-même se portait comme un charme ?

Il fallait se rendre à l'évidence. L'Aile cumulait tous les symptômes du Mal de la Poisse ; la maladie dont souffraient les inconscients qui s'approchaient trop près de la Non Zone. Le corps se vidait littéralement de toute substance des jours durant. Certains se remettaient ; la plupart en mouraient.

Et à la façon dont Kosan prétextait n'avoir pas faim pour céder ses rations à Hélios, il se savait condamné. La balle de Muhammad l'avait affaibli ; cette escapade l'achevait.

Alors quand Hélios le découvrit malgré tout, au retour de son exploration, affairé sur sa radio, la poigne du Nerf se serra sur le chambranle. À croire que cet idiot espérait la remettre en état pour pouvoir passer l'arme à gauche en toute bonne conscience ! Hélios ne comptait pas le laisser faire.

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