Acte II, scène 7

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Les rayons du soleil s'abattirent sur sa bastille céleste. À travers les rideaux, leur douce tiédeur caressait un visage terni de fatigue. Hélios avait à peine fermé l'œil ; ressassant sans fin sa conversation avec Kengé.

Il fallait qu'il quitte cet endroit.

Cette certitude avait tourné en circuit fermé dans le moteur de ses réflexions nocturnes. À l'aube, il accouchait de cette résolution nourrie. Il allait redescendre.

Les couvertures valsèrent sous le coup d'une main rageuse. Au terme d'une toilette sommaire, il enfila pantalon de toile, chemise et veston sans manches aux motifs à carreaux. Des vêtements de Nerf. Tant mieux, il ne serait pas senti à l'aise dans les boubous colorés dont s'attifaient les Ailes haut placés. Quoi qu'il s'agisse encore d'un détail pour lui rappeler ce gouffre qui le séparait de ces gens.

Hélios ne jeta pas un regard au plateau du petit-déjeuner qu'une main invisible avait déposé dans l'antichambre. Son pas martial le conduisit directement au bureau de Muhammad.

Il ne s'y trouvait pas.

L'étrange intendant cultivait pourtant l'art de se rendre disponible en toute occasion. Stoppé en plein élan, Hélios se résigna à flâner au hasard dans les ailes du trop vaste palais.

Il poussa la curiosité en s'aventurant près des cuisines. Muhammad l'avait tacitement découragé de se rendre dans les zones réservées au personnel, mais rien qu'un coup d'œil... Les casseroles tintaient dans un branle-bas matinal. Mieux valait ne pas déranger ce petit monde en action. Il poursuivit le long du couloir et remarqua un escalier encaissé dans un renflement.

Il se voulait discret, d'un béton nature qui ne payait pas mine ; et c'était bien sa simplicité qui — par contraste avec l'opulence de la demeure — attira l'attention d'Hélios. Un premier pas se posa sur les marches ; d'autres entamaient l'ascension dans le sens inverse.

Il se retrouva nez à nez avec Muhammad.

D'abord surprise, l'Aile se figea. Hélios découvrit une nouvelle expression sur ce visage trop lisse, trop affable. Quelque chose qui le terrifiait au plus profond de ses entrailles, sans qu'il ne puisse mettre le doigt dessus.

— Qu'est-ce tu fais là ?

La question brute le désarçonna. Sa courtoisie habituelle avait été abandonnée au bas des marches.

— Je... je vous cherchais.

Muhammad parut se radoucir. Son corps noueux se détendit, ses traits se décontractèrent.

— À quel sujet ?

Hélios rassembla les bribes de courage que cette rencontre impromptue avait dispersées.

— Je veux retourner à la Surface.

Une subduction broussailleuse joignit les sourcils de l'Aile. Cependant, il ne demanda pas de précisions et se contenta de déclarer.

— Je vais faire préparer une voiture.

*

Dans la berline qui filait à travers les rues ensoleillées, Hélios tâtait fébrilement ses poches bien légères. On lui avait rendu ses papiers, seul effet rescapé de son « accident ». Le reste avait brûlé avec la scène installée sur Silimsha. Le metteur en scène avait accueilli la nouvelle avec un pincement au cœur. Tant d'heures de travail des costumiers et décorateurs... Réduites à néant.

Il était reconnaissant à Muhammad de s'être activé dans l'heure. Kengé n'était pas encore levé et personne n'avait insisté pour que son protégé lui dise au revoir. Pire ; le remercie. Tant mieux. Hélios aurait été capable de revenir sur sa décision.

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