Acte II, scène 14

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TW : Scènes susceptible de choquer dans cette scène et la suivante (surtout la scène 15, en fait).
Sinon, j'espère que vous allez bien, et merci si vous avez lu jusqu'ici.

*

GIOVANNI

Quelle naïveté... Toi, déchu roturier
Croyais-tu pouvoir battre le fer contre moi ?
Le pouvoir se plie à ma ferme volonté
Et tes grands mots ne feront pas frémir un roi

Hélios décolle ses paupières pesantes. Dans un sinistre décor de brume, Sadaou Kengé s'agite dans une parure de tyran grotesque. Il a revêtu les atours de Giovanni Bellamonte ; sa cape d'hermine et sa couronne de toc d'où débordent ses tresses folles. Il l'invectivait. Alors Hélios baisse les yeux sur lui-même comme s'il se découvrait. Que fait-il affublé du brocart et des chausses de Pietro Da Fiori ? Sa paume agite une piètre épée de bois ; des mots qu'il n'a pas pensés s'échappent de ses lèvres.

PIETRO

Je ne souhaite pas vous combattre, Seigneur
Mais regardez vos mains ! Tout ce sang qui les couvre
Et dans quel but si ce n'est les pleurs du malheur ?
Je vous plains. Vous êtes seul dans votre grandeur
Où sont donc les bras chaleureux qui pour vous s'ouvrent
Quel bonheur retirerez-vous de la terreur ?

Le tyran rabat sa cape comme le ferait un mauvais acteur dans le rôle du méchant.

GIOVANNI

Assez ! Je ne laisserai pas un maudit rat
Me conter sa morale. Expiez donc vos râles !
Vous mourrez sous le joug de ma lame royale
Pour avoir osé défier ma juste loi

Il charge. Un hurlement sauvage fuse de l'assaillant. Hurlement qui se mue en supplique plaintive...

Hélios sursauta. Il se sentit basculer, mais une étreinte de cordes retint son corps. Muhammad l'avait solidement attaché à une chaise fixée au sol. On l'avait privé de son manteau et le froid mordait ses membres nus. Ses bras, tirés en arrière, le piquaient de soubresauts de douleur. Encore fébriles des affres de son songe — et du coup infligé à son crâne — ses yeux s'efforçaient de faire la mise au point sur le décor.

Un décor rudimentaire s'il en est. Sa cellule s'avérait pourtant propre, en comparaison du taudis infesté que lui louait Rishka pour ses passes. Elle se payait le luxe de disposer d'une table, de quelques autres chaises et même d'un futon posé sur une natte de paille. Alors pourquoi ce mobilier ceint d'anodins murs crayeux agitait-il des terreurs enfouies ? Le malaise remontait sa gorge en flèche. Il ferma les yeux et s'obligea à respirer amplement pour ne pas laisser filer les quelques toasts du gala hors de son estomac.

Il invoqua le calme.

Un nouveau cri avorta sa tentative.

Le même qui l'avait tiré de l'inconscience, le même que cette servante avait poussé lorsque les hommes de Muhammad la molestaient, le même que la messagère. Un cri terrorisé qui lui glaça le sang. Par réflexe, le prisonnier se débattit dans ses liens pour voir derrière, là d'où provenait le son. Mais il était seul ; on avait enfermé l'espionne dans la pièce voisine. À travers le mur de pierre filtraient quelques bruits étouffés. Des voix d'hommes. Hélios ne les comprit pas. En revanche, les hurlements de protestations retentissaient parfaitement audibles.

Étrange. Aucun impact, aucun coup, aucun autre son que ces timbres rauques ne lui parvenaient. Que lui faisaient-ils subir ? La gorge nouée d'impuissance, le captif se retrouvait contraint d'assister à cette torture. On lui en épargnait les images, mais son imagination fertile comblait, hélas, ce défaut.

EntelechiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant