Acte III, scène 6

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Les cinq minutes passées, nous partîmes. Dewoke se contenta de sprinter en ligne droite. Une stratégie que je jugeais contre-productive. Mon intuition me soufflait que tu n'étais pas assez idiot pour avoir détalé jusqu'au bord de l'ile, là où le vide n'offrait aucune issue.

En revanche, Moussif recherchait les traces. Elles ne paraissaient pas évidentes dans la terre inhabituellement sèche, mais lui comme moi repérions les layons qui déviaient du sentier. À l'affut des brins herbes pliés et des branches cassées, nous remontions la piste en nous suivant de près. Ce qui finit par exaspérer le sénateur.

— C'est ridicule, Kosan. Allions-nous ! Je te laisserai la gloire et tu me laisseras la prise.

— Hélas, aujourd'hui, c'est l'inverse qui m'intéresse. Je crains fort que nous soyons contraints de nous tirer dans les pattes.

Mon ami dressa un sourcil étonné, puis pouffa de rire.

— Tu as mal choisi ton jour pour déroger à tes habitudes. Faisons ainsi, mais tu ne te plaindras pas que je te le ravive sous le nez. Maintenant, silence.

La traque se poursuivit. Je pestai intérieurement de devoir tracer dans les pas de cet hurluberlu en redingote rouge vif. Pour sûr, tu le verrais arriver. Le chemin bifurqua ; une fausse piste. Un habile stratagème de ta part. J'espérais que Moussif emprunterait la mauvaise. Il ne se fit pas avoir. Je rongeai mon frein. La chance n'allait pas tarder à me sourire.

Les traces s'arrêtaient nettes. Devant un chêne. Aux écorces éraflées, il n'était pas bien difficile de déduire que tu avais escaladé. Moussif leva son canon, scrutant les ombres dans la canopée. Les branches enlaçaient leurs voisines dans des embrassades intriquées. Mon ami suivit avec attention cette passerelle des hauteurs.

Je renonçai à l'imiter. Tassé dans un buisson de renouée ; je gardai plutôt l'œil sur le viseur. J'escomptais que tu te montres plus malin que lui et ne fus pas déçu. Alors que Moussif progressait le nez en l'air, il ne te vit pas surgir de derrière un tronc. Comme pour la fausse piste, les marques sur l'écorce étaient un leurre.

Ton attaque grossière dénotait une cruelle absence de technique, mais ta hargne et l'effet de surprise suffirent à compenser. Moussif bascula, sa tenue proprette alla épouser les résidus de gadoue ; tu t'emparas de son fusil et le mis en joue. J'aurais applaudi des deux mains si je n'avais pas eu une occasion à saisir. Car à ce jeu truqué, tu ne pouvais pas gagner.

Je tirai. Le projectile heurta ton épaule et te fit lâcher l'arme. Je ne perdis pas de temps et jetai mes forces économisées dans un sprint. Moussif allait se relever, mais je le bousculai en passant. Je prétexterais une maladresse plus tard.

La douleur te ralentissait. Il ne fallut que quelques foulées pour te rattraper et réaliser un plaquage à faire rougir ta démonstration d'un peu plus tôt.

Bien sûr, tu n'allais pas me céder la victoire si facilement. Tu te débattis avec rage, ton bras valide lacérait mon manteau épais, tes jambes rudoyaient la couverture feuillue du sol ; sans grand succès. Je raffermissais ma prise et te retournai. Tes bras maintenus au-dessus de la tête et un genou pressé contre ton sternum, j'appuyais suffisamment pour te couper le souffle sans te briser les côtes ; puis me penchai pour chuchoter sur le ton de la confidence :

— Tu ne gagnes rien à lutter. Si personne ne t'attrape, ils te reverront d'où tu viens. Alors choisis : moi, le type que tu as renversé ou le Lisier ?

Tes yeux s'agrandirent de stupeur ; puis se rétrécirent de rage. Sans doute n'appréciais-tu guère ce rappel à tes origines. Gonflé d'assurance, je me tenais quelques centimètres en surplomb ; un sourire se peignait sur mon visage, persuadé de ta décision.

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