Acte II, scène 11

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Hélios remuait distraitement le pic à olive dans son cocktail. Il n'avait aucune idée de ce qu'il fabriquait ici et s'ennuyait profondément.

Kengé l'avait traîné à l'un de ces soporifiques galas de charité, où la frange très aisée des Ailes faisait mine de soutenir la créativité de la frange moyennement aisée des Ailes. L'acteur s'était obligé à retenir ses bâillements lors de l'interminable vente aux enchères de tableaux dont la symbolique lui échappait.

Désormais, la soirée battait son plein. Au cœur d'un jardin aux allures de jungle, des architectes avaient eu l'outrecuidance d'imposer un palais de marbre et d'or. Les salles démesurées ne s'emplissaient que lors de sporadiques évènements ; l'écho des exclamations emphatiques se réverbérait sous la voûte trop haute. Un bourdonnement d'insectes désagréable à l'oreille d'Hélios, qui regrettait l'ambiance feutrée des théâtres.

Kengé l'avait abandonné pour « régler quelques affaires », laissant à ses gardes du corps mutiques le soin de le surveiller de loin. Alors il errait en fantôme hagard entre les masques hypocrites d'une foule inconnue ; uniformément noire. Les invités se livraient à un jeu de commérage à peine discret sous la munificente coupole. Hélios se persuadait d'en être la cible privilégiée.

Pour fuir, ses yeux s'égarèrent sur le plafond peint de scènes de genèse. Les héros d'une Histoire fondatrice, dont il ignorait les tenants, se gargarisaient de mérite dans ces représentations dantesques. Ici, un chevalier de bronze pourfendait des armées de damnés ; là, un héraut séduisait une foule hâve ; ailleurs, un messie élevait la terre au ciel dans des éclats d'argent.

Hélios soupira en se détournant des motifs glorifiants. Les Ailes avaient fondé Monade, les Ailes avaient offert un refuge, les Ailes avaient sauvé l'humanité de sa perte sur un sol meurtri et les vermisseaux de son espèce devraient s'estimer éternellement reconnaissants. Le message était clair. Même si Muhammad ne l'avait jamais explicité, chacun de ses sourires faux le martelait. L'ensemble de ces foutus pingouins attifés dans leurs boubous clinquants le martelait.

Ironiquement, les deux Ailes qui trouvaient grâce à ses yeux étaient Kosan et Sadaou. Et chacun le mettait en garde contre l'autre.

L'acteur revint sur ses pas, nonchalant. Vers un havre calme au sein de cette agitation. Derrière le vitrage d'un salon converti en salle de réunion, un conciliabule en uniformes hautement décorés se livrait querelle. Hélios coulait des regards furtifs sur le spectacle de ces gesticulations muettes. Voilà bien une demi-heure que Kengé se trouvait otage de cette comédie.

Dos tourné, l'Aile ne répondait pas à ses œillades. Curieux du sujet de la rixe, Hélios se persuadait encore une fois de le deviner : lui-même. Les regards appuyés des hauts-fonctionnaires qui le surprenaient en train d'épier étaient évocateurs.

Finalement, le président fusa hors de la salle, dans une ola de gestes outrés par sa fuite. D'un pas à rivaliser avec l'allure d'un marathonien, il se dirigeait vers Hélios qu'il attrapa par le bras et transbahuta dans son sillage. Quatre jours plus tôt, l'acteur se serait agacé d'être balloté avec si peu d'égards ; depuis la lettre de Kosan, il s'inquiétait. Il surveillait le moindre revirement de son hôte, se tenait sur ses gardes, prêt à contre-attaquer. Mais que valaient les crocs d'un chien contre la puissance dirigeante des Nuages ?

Par chance, l'Aile se contenta de l'acculer dans un repli à l'écart, mais pas complètement absous de témoins. Ses grands yeux brillaient d'une lueur soucieuse. Hélios s'en voulait presque de ne plus lui faire confiance, de l'éviter ; de le fuir. Kengé interprétait sans doute sa réticence comme le regret de s'être laissé aller après cette virée au théâtre. En tout cas, il n'avait pas reparlé de cette nuit-là.

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