Une foulée ; la gadoue maculait ses godillots. Une foulée ; les résineux accrochaient leurs aiguilles à ses cheveux, les ronces arrachaient de nouveaux pans à sa chemise trépassée. Une foulée de plus et il recracherait ses poumons !
Jamais il n'avait tant couru. Pas même la fois où ce larcin dans le Croissant de la Plante avait mal tourné. Sa vie n'était pas en jeu.
Nouvelle détonation, nouveau grognement frustré.
Les rabatteurs changeaient de stratégie. Avaient-ils reçu de nouvelles consignes ? Car les tirs redoublaient, tonnaient toujours plus proches de ses tympans. Plus question de le louper sciemment. Puisque le gibier avait dévié de sa trajectoire, il ne restait qu'à l'achever. Et Hélios n'allait pas compter indéfiniment sur sa chance.
Une racine fourbe piégea son pied. Il vacilla. Sa main laissa une trace sanglante en s'arrachant sur l'écorce. Il releva la tête.
À travers le rideau feuillu, le manoir le narguait de sa blancheur immaculée. Entre lui et son fronton, quelques centaines de mètres de néant vert ; un champ libre vers le suicide. Il devait trouver un autre accès... Là-bas ! ses yeux ciblèrent les jardins attenant à la façade dextre. Un labyrinthe de charmilles serpentait de la forêt à sa destination. Sa survie valait bien un maigre détour.
Un dernier sprint à torturer son cœur et il serait à couvert !
Ses poursuivants visaient la même destination. Comme un seul homme, ils convergeaient vers le taillis. Ils sonnèrent l'hallali. Non ! Il n'était pas encore aux abois. Hélios slaloma dans le dédale. Il devait bien y avoir une échappatoire à ce cauchemar... Oui, il en voyait la fin : les charmes délayaient leurs parures vers une sortie providentielle.
Aussitôt barrée par deux Ailes armées.
Fusil à l'épaule, le premier fit feu avant de viser. La balle fila dans les buissons et Hélios se replia avant que le deuxième ne tire. Coincé. Et derrière, les poursuivants affluaient...
Il ferma les yeux, prêt à assumer son échec. Deux coups de feu. Deux cris et le bruit de corps qui s'effondrent. Il rouvrit les yeux, sonné. Il n'était pas la cible ?
— Hélios !
Cette voix qu'il n'escomptait plus entendre. Sa voix... La raison criait de refouler ce soulagement prématuré ; le cœur voulut s'élancer dans sa direction. Ventre à terre, il se rua vers la sortie du labyrinthe. Ne pas regarder les corps — il aurait tout le temps d'y songer s'il survivait.
Par-dessus ses épaules, les tirs poursuivaient leur duel, mais les chasseurs n'osèrent guère l'affrontement : ils étaient venus canarder un gibier facile et désarmé ; pas l'un des leurs, visiblement bon tireur. De toute façon, la milice de Kengé prenait le relais : les portes du manoir vomissaient des pantins cuirassés.
Hélios n'eut pas le temps de frémir qu'une main puissante le saisit et le bascula derrière un muret. Dans le couvert trop étroit, le corps de Kosan se retrouva plaqué contre lui. Il accueillit ce contact d'une bouffée d'émotion inappropriée. L'Aile n'était qu'un inconnu à ses yeux d'amnésique. Mais l'étreinte d'un allié, après des semaines dans ce nid de vipère, pansait ses plaies.
— Recharge-le.
Kosan lui jeta plus qu'il ne lui donna une arme à canon court, néanmoins imposante pour un néophyte comme Hélios. Pas qu'il n'ait jamais tiré — le Lisier était un endroit dangereux et Mitraille lui avait appris à se défendre —, mais entre la fronde et l'arme à feu sophistiquée...
Comme s'il espérait y lire un mode d'emploi, il leva un regard furtif vers son sauveur. Sa superbe s'était ternie dans les épreuves de la cavale, une barbe de négligence piquait ses joues creusées de fatigue, mais ses yeux... Ses yeux brûlaient d'une détermination infrangible.
VOUS LISEZ
Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...